Le lendemain
CQFD. Pierre
a stationné hier soir devant la galerie, au parking, en compagnie de quelques
membres du gratin -tout petit gratin mais… - et il ne m’a pas «vue»
rentrer chez moi. J’étais seule, triste et j’aurais aimé bavarder un peu -ou
qu’il me présente au groupe qui rigolait si fort, ça me faisait plaisir de les
entendre.- Un geste de la main et encore, parce que je n’avais pas pu
m’empêcher de regarder avec insistance vers lui, et salut. Retourne à la niche.
Soit.
Je sais tout de lui ou presque:
son mariage et pourquoi, les problèmes de sa femme, de sa belle-famille, ses
soucis d’argent, ses errances dramatiques autrefois, etc… Du reste, il est
intéressant, cultivé etc…
Au fond, je fonctionne comme une
psy gratuite. Ou une pute bénévole.
Il survient souvent en me disant:
-- Je n’ai pas le temps, c’est fou
le boulot en ce moment…»
Et il demeure une heure ou deux.
Cela dépend.
Cela dépend de moi. Devant son
café, il attaque: ses soucis, l’ignominie de son proprio, de l’agent
immobilier, du fils de celui-ci, sa santé, celle de sa femme, l’agencement de
leur nouvelle maison, si délicat parce qu’elle est moins vaste que l’autre, son
déménagement… Sur la politique aussi… Il est intéressant, certes, et même passionnant, plein d'humour, ce pourquoi je l'aime bien malgré tout. Mais dès que
l’on passe à autre chose que lui (même la politique, il l’envisage toujours en
fonction de son ego) il coupe aussitôt, toujours amène:
-- Oh flûte, je dois y aller, ça
passe vite avec toi, je suis en retard, à plus…
J’ai fait l’expérience: si j’embraye
en lui demandant des nouvelles de sa santé, ou du procès que lui intente son
proprio -au cas où cela n’aurait pas été l’objet principal de la discussion- il
s’arrête aussitôt dans son élan, se retourne… et ça repart pour un tour. Ça
marche même plusieurs fois de suite. Je reprends sur un autre thème, il n’a
plus le temps, d’ailleurs il est resté plus qu’il ne devait, c’est tout juste
s’il ne me reproche pas -gentiment- de l’avoir mis en retard… Je m’enquiers
alors de son chien et il se rassoit aussitôt… avec lui c’est trop facile, on
gagne à tous les coups.
Alors ? Alors je ne suis pas
guérie ; cela correspond exactement à mes relations avec Frédérique, en
plus soft -pour ce qui est de Pierre, qui est toujours aimable-. Ca doit être
un complexe de quelque chose. Comment dire ? Pour mériter que l’on
m’aime, que l’on me concède quelques instants de chaleur, d’amitié, de joie, je
dois m’aligner à ce que veulent les gens -quand et comment ? ce sont eux
qui décident, jamais moi -payer de ma personne et surtout ne jamais rien exiger
en échange-. Soit. J’en suis responsable et comme dirait l’autre, «quelque
part» j’y trouve bénéfice. Mais pourquoi ensuite l’ignorance délibérée dans la
rue de la part de certains de mes «amis» de la veille, qui le seront à
nouveau le surlendemain voire l’instant d’après ? Pourquoi la non
reconnaissance, au sens réel du terme ? Il doit y avoir quelque
chose qui m’échappe. Ont-ils honte de moi ? (Pour quelqu’un qui a des
ambitions électorales, peut-être en effet sens-je le soufre? Non, pas à ce
point tout de même. Je suis même plutôt reconnue.) Alors ? A voir. Ils
doivent penser que je suis forte, que je n’ai rien à demander: inutile de
proposer en somme. Je suis un concept. Sans doute le fait que je n’existe pas
est-il perceptible par certains… qui parfois en profitent d’une manière ou
d’une autre ?
Idem pour ce qui est de Sophie.
Elle était à la galerie et nous parlions philo (car, à la différence de Pierre,
elle ne fonde pas tout son propos sur sa personne ou seulement à partir de son
ego) lorsque José me téléphone pour m’annoncer que le Ranquet avait été
cambriolé. Il venait d’arriver, avait trouvé la porte ouverte, brisée,
l’intérieur saccagé etc… Sophie a forcément entendu. Lorsque je raccrochai,
elle se tortilla sur sa chaise, gênée, déçue et s’exclama sur un ton à
la fois interrogatif et affirmatif:
-- Je vais y aller… ? Je ne
vais pas t’encombrer en ces circonstances, tout de même… ? Tu dois avoir
autre chose à penser… ? Et comme je ne peux rien faire pour t’aider,
hélas, ce n’est pas la peine que je reste…»
Elle demandait implicitement
si on pouvait ou non poursuivre le débat… et pensait se montrer très obligeante
en proposant d’elle-même de le reporter à un moment où je serais plus
disponible. Même le mot
encombrer était ambigu. Prétérition ? S’attendait-elle à ce que je
la rassure ? Abasourdie, je n’ai rien répondu. Et en exactement dix
secondes, elle était dehors, répétant sur le seuil de la porte avec son petit
rire d’enfant.
-- Je ne vais pas t'embarrasser
puisque je ne peux rien faire, je suis désolée…
Discrétion ? Egoïsme ? Je
ne sais pas. Les gens se comportent envers moi comme s’ils étaient mes patrons. Là, elle me donnait "quartier libre".
Un souvenir de Frédérique -la pire-
assez ancien:
-- Je vais mal etc…
(Il y avait de quoi, c’était après
la mort de son compagnon.)
-- Je vais venir si tu veux, tiens
le coup…
(J’étais à Paris, elle à Vals.)
-- Mais je ne suis pas chez moi.
-- Tu le veux ou non ?
-- Bien sûr mais… Je fais ce
remplacement de généraliste et il y a le problème de la bouffe, je ne suis pas
censée inviter…
Moi, riant devant une telle
préoccupation chez quelqu’un qui l’instant d’avant voulait mourir:
– Eh bien, je paierai mes repas,
voilà tout.
Pourquoi suis-je ainsi ?
J’ai envie de me mettre des baffes.
Je vais chez la dentiste. Progrès
notable, j’ai donc commencé.
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