Cérémonie annuelle au Puits de
Célas, anciens combattants et tout… Dommage que l’histoire des résistants
qui y furent précipités ait été récupérée -comme tout- par les politiques.
Discours vides, toujours identiques et roboratifs… J’avais envie de leur
demander pardon. Les paroles de Gustau me revenaient en mémoire:
«Un jour, des messieurs en
cravate nous congratuleront pour ce que nous avons fait… les mêmes peut-être
que ceux qui à présent nous tirent dans le dos...» Amertume. Il y avait
même un petit sous-préfet enharnaché d’or et de velours comme une vachette
camarguaise qui a improvisé, visiblement à reculons, un court discours
emberlificoté, candide mais aimable -et surtout rapide- accent parisien à
l’appui, au terme duquel on pouvait retenir qu’il venait juste d’être nommé,
qu’il ne savait pas très bien de quoi il s’agissait, enfin pas en détail mais
qu’on lui en avait beaucoup parlé évidemment (!) qu’il se renseignerait plus
avant -promis juré- d’ailleurs des histoires de ce genre, il en avait vu plein
dans toute la France, et peut-être fallait-il oublier, faire la paix, enfin
non, pas oublier, se souvenir au contraire, bien sûr, mais tout en allant de
l’avant, c'est-à-dire… Bref, vous m’avez compris, je ne vais pas vous prendre
plus de temps…»
Pas de quoi soulever les masses.
Mais bref, le Démosthène. Et sincère, à sa façon. Ne cachant pas qu’il
s’emmerdait, et en un sens, il n’avait pas tort. Les litanies d’Angelo avaient
endormi tout le monde.
Angelo ! Il veut visiblement
prendre en mains l’histoire et cache à peine ses visées électoralistes. Ce
n’est pas un mauvais type, mais il a développé une ambition qui le fonde
parfois à flagorner voire à modifier la vérité -en partie-. Tout le monde le
sait mais on l’aime bien tout de même: sa chaleur humaine, sa truculence et son
complexe évident de prolo qui veut s’instruire sont telles qu’elles font
supporter ses minimes bassesses. Il est assez intelligent pour séduire,
n’oubliant personne dans ses discours, énumérant, fût-ce de manière indigeste, tous
les maquis qui ont existé dans la région, et il y en eut beaucoup, et nommant
un par un les morts et les vivants, avec un petit mot dithyrambique sur tous. Ça dure ! Soit. Lorsqu’il m’invita à Nîmes pour une soirée de poèmes et de
discours sur la guerre d’Espagne -mais en espagnol exclusivement- bien que je
me sois cachée tout au fond de la salle dans l’intention de m’en aller
discrètement, il m’aperçut et, en gesticulant, de loin, s’écria:
-- Irène ! Viens ici.
Il m’avait réservé une place à ses
côtés, devant, en plein milieu, juste sous la scène. J’ai dû rester les trois
heures réglementaires retenant mes bâillements, (la langue collée au palais,
comme on enseigne aux jeunes filles bien élevées) sans rien comprendre. Ça, je
n’oublierai pas. En plus il fallait parfois rire, pour ne pas désobliger les
acteurs.
Je suis restée seule au puits,
comme pour chasser les miasmes. Louise était là, toujours égale à elle-même.
-- Il en a trois que je connaissais
très bien là dedans, tout au fond…» m’a-t-elle dit, avec, le cas est rare chez
elle, une émotion perceptible, presque une larme. Trois bons copains. Elle se
gelait, je lui ai proposé mon écharpe en laine bien chaude et plus ou moins
sale, qu’elle a refusée. Sacrée Louise. Elle va devoir se faire opérer du bras,
qui est devenu quasiment paralysé et surtout qui la fait souffrir en
permanence. Elle a du mal à conduire. Mais le chirurgien qui est l’as
spécialiste du coude qui dysfonctionne chez elle opère à Mistral. Mauvais
augure.
J’ai envie d’y retourner ce soir.
Pardon Gustau de ne pas avoir su parler. Mais écrire, si. J’ai parfois envie de
devenir célèbre rien que pour pouvoir ensuite dire, rectifier, la réalité
historique, même partiellement. -Au fond, je ne vaux guère mieux que le
curé ; je suis une adolescente mal vieillie.-
Non ils ne sont pas morts pour
la France, mais pour la liberté. Il y avait parmi eux autant
d’étrangers que de français, et deux femmes allemandes. Mortes
pour ce que l’on voudra, mais mortes et non morts
(à l’énumération des noms, un à un, un ancien combattant répondait comme
d’habitude: «mort pour la France»… y compris après: «Lisa Ost» et «Hedwig
Rhamel» ! Ont-ils saisi depuis le temps qu’elles étaient des
femmes ?) Et les gens qui les ont fait tomber n’étaient pas des «allemands»
mais pour la plupart des miliciens français -même si ensuite ce sont
bien les SS de la division Brandebourg qui les ont massacrés-… Non, ils n’ont
pas été fusillés mais la plupart sont morts sous la torture et
certains ont sans doute été jetés vivants. Non, les miliciens qui les
ont sortis ensuite n’ont pas été précipités dans le puits… !!! Non, tous
n’étaient pas également engagés dans le combat, certains, Valmalle par
exemple n’ayant eu pour fait d’armes -et c’est déjà beaucoup- que d’avoir tu
la teneur probable des colis -des tracts- que des inconnus mettaient dans le
car qu’il conduisait sur la ligne Malaigues - Saint Jean, récupérés ensuite par
d’autres inconnus… Enfin…
Un type qui prétendait tout savoir
s’est esclaffé lorsqu’il a fait mention des femmes tondues. Un flash. Il devait
être du genre à l’avoir fait ou à avoir applaudi et contemplé en bandant. Je
l’ai engueulé assez fortement. Il a voulu ensuite se rendre intéressant en
affirmant connaître un traître qui les aurait tous envoyés dans ce
puits. Primo, c’est impossible parce qu’ils n’ont pas été pris en même temps et
chacun a eu une histoire différente. Ensuite, il a royalement parlé de Vigne,
dont tout le monde sait en effet l’implication comme donneur. Beau scoop. Je
pensais qu’il allait citer cette femme de Lassalle maîtresse d’un soldat
allemand, moins connue, qui, adolescente, aurait dénoncé Valmalle par vengeance
-il avait averti sa mère à mi mot qu’elle batifolait au lieu d’aller au lycée-
puis fut sauvée par un résistant qui l’épousa juste à la libération… qu’elle
quitta une fois en sécurité, s’engageant alors -comme son ex mari- dans l’armée
où elle fit une belle carrière en Allemagne… et revint une fois les passions
calmées, remariée bourgeoisement, dans son village… où elle escomptait se
présenter sur la liste électorale majoritaire lorsque l’affaire éclata ;
elle fut alors forcée de démissionner… Sans sa cupide ambition, personne
n’aurait jamais parlé…
Mais elle avait quinze ans alors:
c’était sans doute une adolescente amoureuse qui probablement ne se rendit pas
compte de ce qu’allaient provoquer ses propos, tenus sans doute au milieu de
larmes, devant son bel aryen navré auquel elle annonçait la rupture imposée par
l’intraitable maman. Avertie, hélas. Mais par qui ? Par ce vieux salaud de conducteur. Et qui ne se gêne pas pour transporter des drôles de colis, en
plus*… C’est simple, voilà comment
Valmalle, le brave chauffeur pied bot qui ne parlait que patois et considérait un
peu les enfants qu’il transportait comme siens finit massacré sous la torture
et précipité dans le Puits. Un nom sur une dalle.
A-t-elle eu des remords ?
Aima-t-elle son résistant épousé à la hâte tout de suite après ? Et enfin,
son dernier mari, riche et conciliant ? Était-elle si éblouissante, cette
femme qui sut toujours séduire au bon moment les hommes qu’il lui
fallait ? Peu soucieuse de rencontrer un tel personnage
bien que j’écrivis alors les «Lettres à Lydie», j’ai questionné indirectement
des voisins, car elle semblait emblématique de ces situations exceptionnelles
où parfois ceux qui se comportèrent en salauds ne l’étaient pas vraiment… ou
pas tout à fait. Les réponses furent unanimes, souvent après un éclat de rire
joyeux et cruel. C’était, c’est toujours, un pot à tabac au nez en
patate avec des yeux louches trop rapprochés. Les femmes fatales ne sont pas ce
que l’on croit.
* Le seul fait de résistance de Valmalle, ce qui n'était pas si mal -mais ce n'est pas pour cela qu'il fut pris- fut en effet de transporter des tracts de Malaigues à St Jean régulièrement. Quelqu'un les déposait dans la soute, et d'autres les reprenaient à chaque arrêt -il savait fort bien de quoi il s'agissait et s'était toujours tù-.
* Le seul fait de résistance de Valmalle, ce qui n'était pas si mal -mais ce n'est pas pour cela qu'il fut pris- fut en effet de transporter des tracts de Malaigues à St Jean régulièrement. Quelqu'un les déposait dans la soute, et d'autres les reprenaient à chaque arrêt -il savait fort bien de quoi il s'agissait et s'était toujours tù-.
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