lundi 17 décembre 2012

Sakar, les kurdes



Kurdes

Sakkhar ? En un sens, oui. Lorsqu’il m’a dit:-- Tu es ma sœur, parce que… des femmes comme toi, ça n’existe pas. Ca ne peut pas exister au Kurdistan.
(Moins vingt l’hiver et plus quarante l’été, foutu bled.) Sans mari, sans frère, sans père ni mère, sans famille, sans rien… Donc, si tu veux me faire cet honneur, je t’adopte, nous t’adoptons…» Ma sœur… Merde alors. Et puis ça l’arrange parce que si nous devons crapahuter dans les montagnes, sous le feu ou non, il faut qu’il y ait entre nous des liens qui excluent tout qu’en-dira-t-on. Sacré cul béni de Sakar ! (Mais il est athée et m’a fait jurer de ne jamais le dire. Je le trahis donc. Brûler ce passage. Ou le raturer serré, il en va de la révolution au Kurdistan, qu’il dit.)

Pas de désir -un homme marié, fî donc ! Et puis, après trois attentats contre lui et deux ou trois blessures graves au combat, il a toujours de beaux yeux, comme Céline, mais on aurait peur de le casser-… mais une intense joie. Un frère ! Bigre !
Sauf que je n’imaginais pas avoir un frère général de peshmergas -et un peu seigneur de la guerre, coco, faut pas me la faire, frangin, si tu crois que je n’ai pas compris que tu rêves d’en découdre pour l’agrandir, ton mini Kurdistan en forme de bite flaccide -manquent les couilles qui, dans ta géographie «historique», seraient taillées dans l’Iran des Mollahs- et que tu cherches une intello française engagée pour la cause kurde et pas encartée, bref une humaniste qui serait ta biographe dithyrambique, bref moi, dénichée par un chasseur de tête présentement sis à Sauve qui se nomme, on a du mal à y croire et pourtant c’est vrai, Mac Killer !!!- mais ça me va parfaitement. Échange de sang ? Non, ça non, symbolique seulement -et le sida coco?- C’est sérieux leur truc, devant témoins avec papiers et tout. Le moyen âge et le 21ème siècle à la fois. J’ai donc un frère et pas n’importe lequel. Ça me touche infiniment. Où en suis-je ?

Et, vingt dieux, un frère riche depuis que ce salaud de Bush leur a filé quelques millions de dollars. Ça, c’est le point noir. Le pétrole. Ils vont le payer cher. Ou bien ce sont les iraniens qui vont le payer cher, les fadas. «Bombe sans frontières», en somme, si on écoute le discours de leurs peu riants barbus enturbannés brrr. Ils vont l’avoir, leur bombe nucléaire, y a pas de raison, «la bombe pour tous». Avec le Pakistan et l’Inde qui se regardent en chien de faïence sur la frontière du Cachemire -et la bombe dans leurs soutes- on est mal partis. Sakar le cache à peine. Il la veut lui aussi, et il en a les moyens à présent, question de sous et de temps, les russes soldent le matos. Mon frère. Ils vont faire sauter la planète à force de se dissuader mutuellement de le faire.

Qui va mettre de l’ordre dans ce bazar ? D’après Mac Killer, qui joue son contrat donc son fric et tire dans tous les sens, je peux y contribuer. Trop drôle. Où en sont-ils, les malheureux pour s’accrocher à un radeau si percé ? Combien vaut ma plume ? Il n’a pas voulu me le dire. Au fond, c’est un mac haut de gamme qui ne cherche pas une pute mais un écrivain -et une femme si possible- ou ce qui en l’occurrence y ressemble un peu qui ne craigne pas trop les bombes, waterproof, quoi, et engagée depuis longtemps -pas le genre à s’être rallié à présent qu’ils ont le fric de Bush- pour les kurdes. Ça tombe sur moi, c'est vrai que ça ne court pas les champs. Combien vaut ma plume qui relaterait en trois langues les faits d’armes, les combats, galvaniserait les masses françaises etc ? Ils admirent la France. Ils veulent le soutien du pays des droits de l’homme etc… Bon, c’est touchant. Mais avec les millions de Bush... Le monde politique est bizarre.
On soutient des génocidés et soudain, avant même que l’on ait posé son stylo, les voilà qui se retrouvent génocideurs…
Le soutien aux ex victimes s’avère un soutien à de futurs bourreaux. Par le jeu des alliances et des retournements de politique. Ils vont finir par faire comme Israël, c'est-à-dire massacrer les iraniens…
-- Non, où tu vas ? Pas massacrer, tu me prends pour qui ! Déporter ! » s’indigne-t-il vertueusement pour rassurer la sœur que je suis, geste à l’appui, (plof plof, je te prends un village et plof plof je te le mets ailleurs, délicatement, les femmes enceintes dans un camion sous des couettes avec les vieux, on a de l’éducation chez les kurdes.) Mais Sohar, plus fine, a éclaté de rire devant ma grimace…
Comme les juifs l’ont fait aux palestiniens. C’est pour ça que les mollahs se dépêchent de faire la bombe. Ils n’ont pas envie qu’on leur taille des couilles dans le côté bas de leur pays, même si historiquement (?) le grand Kurdistan comprenait bien cette partie là de leur savane.
-- Je peux réunir dix mille hommes et x stinger.»
Eh oui. Et tu en feras quoi, frangin ? Une chance: ça va être l’hiver.
-- On ne se bat pas par moins vingt degrés ! m’explique Sohar, toujours pragmatique et posée en essuyant la vaisselle. Il le déplore, c’est un fâcheux contre temps. Même les stingers, issus des américains et rachetés aux Talibans !!! ou aux tigres noirs cachemiris !!! Du beau monde, quoi… s’enrayent par ce temps de cochon.
-- Mais lorsque tu achètes du pain au boulanger, tu ne lui demandes pas s’il vote Le Pen !» rétorque posément Mostapha. Un fou rire comme jamais, qui s’est communiqué à tous, elle est marrante la française… Ou plutôt c’est nous qui la faisons rire, on se demande pourquoi. Ils sont mignons, ces héros en vacances forcées. Les stingers, des trucs à faire sauter la tour Eiffel en deux coups- portés par un homme, ou une femme, légers, maniables et tout, gèlent comme n’importe quoi Dieu veille. Sohar me fait un clin d’œil et rit. -- Chômage susurre-t-elle.

Elle est blessée depuis l’anfall ; elle a dû marcher 500 kilomètres dans la neige, les sbires de Saddam aux trousses, les gazages type Halabja en perspective, les mitraillages etc… elle qui était habituée à prendre la voiture pour aller acheter le journal avoue-t-elle en riant. Contrairement à d’autres, elle a survécu mais ses genoux, eux, n’ont pas résisté. Elle en est à sa troisième opération. A quarante ans, elle boîte terriblement. Ça ne l’empêche pas de frotter toute la journée. Elle me fait sentir ma nullité. Femme au foyer émérite, elle a dû laisser sa maison familiale plus ou moins le pilaf au four. Elle n’y est jamais retournée. Elle m’a demandé si je voulais bien l’y accompagner. Seule, ça la noue. Comme moi au Ranquet, en somme, pour des raisons différentes. Toute sa famille d’origine est morte sauf son frère. Elle se dit chanceuse car son mari est vivant et ses deux fils également, ainsi que son frangin. Elle essaie de perdre du poids car son ossature fine ne supporte pas la charge. Un visage magnifique, fin, de poupée pâle. Elle souffre en permanence mais garde un sourire lumineux. Il y a des rampes tout le long des murs qui mènent à la cuisine et partout, même dans le jardin pour qu’elle puisse étendre le linge. Il me semble qu’à sa place je ferai la tête devant les si nombreux visiteurs. Elle, non.
-- Ce n’est pas qu’il soit macho, Sakar -me dit-elle en pointant mon froncement de sourcils- mais il est encore plus mal en point que moi, tu vois. Avant, il recevait lui même, faisait la cuisine et tout, ne crois pas…

C’est à voir. Elle aime trop son Sakar, même et surtout en morceaux pour que je la croie sur parole. Mais elle n’est pas voilée et ne comprend pas que l’on le soit. C’est tout juste si elle n’a pas employé l’expression de cul béni.
-- Va tenir une kalachnikov avec un voile !» Me dit-elle tout naturellement, comme si cela constituait l’inconvénient majeur et essentiel de la burka.
Ni discours idéologique, ni pathos inutile, juste un constat: ce n’est pas pratique. Je me marre. Elle aussi, par mimétisme, car je crois qu’elle ne saisit pas ce qu’elle a dit de drôle. On se fait rire mutuellement, ça rafraîchit l’atmosphère, assez lourde il faut dire.

Un personnage, Sohar. En aurait-elle «tenu» une ? Tiré ? Sans doute. Cette maîtresse de maison souriante qui cuisine comme jamais est aussi une kurde issue d’un clan de seigneurs de la guerre, sœur de l'un d'entre eux et non des moindres, la guerre qu’elle n’aime pas mais à laquelle elle a dû participer. Son anglais est parfait. Est-ce un hasard ? Sakar, lorsqu’on rigole ensemble elle et moi, a toujours besoin de quelque chose ou quelque document à me faire voir etc… Il me rappelle ma mère. Jaloux. De qui ? D’elle ou de moi ? Des deux sans doute. Je suis la française écrivaine qu’il a déniché, lui. Je lui appartiens. Pas à Sohar. Va te faire foutre.

Je vais aller faire la lessive et voir si le curé n’est pas tombé dans le puits. J’appellerai Sakar ensuite. Il s’est engueulé avec B., qui est le frère de Sohar. Il a envie que je les rabiboche. Il m’a prévu une interview… Hypocrite. Là bas, pleuvent les bombes ou plus exactement les jeeps. On verra. Sohar veut venir avec moi. Le pire est que je l’aime bien. Où en suis-je ? Nulle.

J’ai vendu une toile. Ce n’est pas tous les jours que ça arrive. Presque jamais, même. Le Christ, j’aurais pu le vendre plusieurs fois mais je m’y suis mal prise. Une femme, belle à couper le souffle, (franco-arabo-allemande m’a-t-elle précisé, recette à retenir) était restée une heure devant, elle calculait comment le prendre, où le mettre, si ça plairait à son bonhomme qui est musulman… Il fait un mètre cinquante sur deux -le tableau, pas le bonhomme- il faut dire, et on ne peut pas le plier. J’ai été appelée au téléphone par Mac killer, ça a tout foiré. Tant pis. Je le vendrai plus tard. Il m’énerve, le Christ, de me regarder pendant que je travaille. Il me tarde d’en être débarrassée. Je vais le solder.

Je n’ai pas appelé Roche. Merde. Ni l’agent. Je vais le faire immédiatement. J’ai dit !


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