lundi 24 décembre 2012

Retour. La passerelle

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dimanche 23 décembre 2012

Les psychiatres, psychanalystes et autres "pain in the ass"


Un psy, entre mac et gourou. 
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 Résolutions


Aujourd’hui l’angoisse a diminué. On ne sait pas pourquoi. Le soleil, peut-être, qui dehors brille doucement. Pas le soleil d’Août, ce soleil de Satan qui tue, non, un soleil civilisé, faible mais joyeux. Tolérable. Caché.

Je me suis levée à dix heures. J’avais travaillé toute la nuit. Je travaille tout le temps. Pas comme ceux qui demeurent sur les bancs toute la journée. Je suis une femme active qui mérite sa pâtée. D’ailleurs, je ne mange presque pas. A tout hasard. Car je ne suis pas sûre, justement, de mériter les trois carottes dans mon assiette qui me dégoûtent rien que de les voir. J’aimerais être un lapin.

J’aimerais être n’importe qui, n’importe quoi sauf moi, mon caniche, mes chats… celui que je croise dans la rue qui a l’air si sûr de lui et des autres, plof plof démarche assurée, attaché case, clefs télécommandées électroniques de voiture tendues devant lui comme un sexe en érection, et clac ! le bel engin obéissant garé au milieu d’autres reconnaît son maître, s’illumine, prêt à s’ouvrir comme une fleur mûre, l’orgasme sur un simple clic, le gaillard est fier de sa force, il sait où il va et pourquoi et ne se laisse pas dévier de sa route… Un homme, quoi. Ou même celle du bistrot de l’horloge qui compte ses sous à sa caisse après avoir servi des frites, et deux qui font cinq, bonne journée, vous avez vu le meurtre à Malaigues c’est affreux, y a plus de morale… (Et en Irak ?) Une femme, quoi. Qui sait où elle va. Où elle est.
Je me colle à la peau, pas moyen de m’enlever de moi.

Résolution une: faire le ménage de la galerie. Je n’ai pas encore la force. Cet après midi sans doute, si tout va bien, après trois au quatre litres de café.

Résolution deux: contacter l’éditeur qui me doit de l’argent. Je ne peux pas ce matin, il ne doit pas être réveillé, toujours entre deux trips… il faut voir ; ça dépend du trip. Il peut me dire: 
-- Je te poste ton fric, je suis un salaud excuse-moi» -et ne pas le faire- ou m’envoyer à la pêche après m’avoir chaudement félicitée pour mon talent littéraire, ma fécondité, mon punch et tout... Tu es géniale etc… Le pire est que ça me fait plaisir. La honte.
Ma nullité m’effraie.

Résolution trois: envoyer mes papiers de sécu. Et aller chez le dentiste. C’est le plus difficile. J’ai tout un bridge à leur faire payer.
Est-ce que je mérite un bridge ?
C’est à voir. Je n’enseigne plus. Je n’ai pas la moindre intention de séduire un ou des hommes, d’ailleurs je ne l’ai jamais eue ou plutôt ce sont eux qui n’ont jamais eu l’intention de se laisser séduire par moi -mais je n’ai pas trop essayé- sauf deux ou trois exceptions notables -mais alors ce fut pire-.
A 57 ans, je ne suis plus reproductible et je n’ai pas d’interview ici en piste dans un avenir proche ni lointain… Mes dents foutent le camp. Normal. Je ne bouffe pas.

Résolution quatre: aller consulter Boucourt, un généraliste brillant et cultivé pour qu’il me tire de ce… Ce quoi ? Dépression ? Folie ? Incapacité à vivre. Normalement ? Mais qu’est-ce que vivre normalement ? Qui sait si tous, comme moi, n’ont pas les mêmes bizarreries ? Ou d’autres ? Qu’est-ce qui se cache chez «tous» ? Même moi, est-ce que je ne donne pas le change, souvent parfaitement? On ne sait pas les mots. Il faudrait déjà ouvrir mon courrier. Je ne peux pas. Lorsque je le pourrai, cela me guérira mais justement cela voudra dire qu’alors je serais guérie.
J’ai envie d’envoyer des faire-part partout annonçant ma mort.

Qu’on me foute la paix. Et pourtant j’ai besoin des autres. Tellement même que je m’efforce qu’ils aient, eux, besoin de moi. Ainsi, ils ne me quitteront jamais. Oui, mais alors ils me collent et je n’en peux plus. Voir Erwan.

Psychothérapies

Même mon psy autrefois, il y a bien longtemps, ne fit pas exception à la règle. Pour lui aussi, je m’inquiétais. A juste titre d’ailleurs, comme nous allons voir, car il allait mal, il était, entre autre cocu et en souffrait comme n’importe qui. Je crois qu’il initia lui-même ce renversement des rôles, mais enfin je fis immédiatement chorus avec une servile complaisance. Au début du moins. Lui aussi, après ses vingt (?) patients quotidiens, s’inquiétait pour lui-même -et pour sa femme- ; il avait donc pris l’habitude de placer mes séances, ou plus exactement les siennes, le soir, en dernier, afin d’avoir plus de temps à me, ou plutôt à se, consacrer. Les secrétaires parties, le hall demi obscur du cabinet était d’un silence propice à la concentration: on était parfaitement tranquilles. Parfois, il notait les références des textes philosophiques qui me semblaient appropriés à son cas, dont je ne manquais pas de l’entretenir. Il n’oubliait cependant jamais de se faire payer en fin de consultation, et je n’oubliais pas davantage. Après une brève euphorie, j’allais de plus en plus mal -et lui, de mieux en mieux-. Lorsqu’il jugea que c’était nécessaire, il augmenta encore le rythme. Nous en vîmes bientôt à quatre vacations hebdomadaires, parfois cinq. Ainsi ça avancerait plus vite. J’étais certes d’accord (au début du moins) mais mon banquier, non. C’est peut-être de là que date mon angoisse à ouvrir mon courrier, qui commença par mes relevés bancaires.

Petit à petit, je coulais: aux problèmes qui avaient nécessité le recours à la psychothérapie (dont il n’avait jamais ou presque été question sauf brièvement au tout début)… s’en étaient rajoutés d’autres que je n’avais pas auparavant, et qui, associés aux premiers (lesquels n’avaient en rien cédé, bien au contraire) avaient formé, en une sorte de réaction chimique terriblement violente, une agglutination, un agglomérat visqueux qui m’enserrait, m’étouffait et m’entraînait inexorablement vers l’abîme. C’est également à ce moment là que j’eus ma première attaque de panique au square Georges Brassens, devant l’immense étendue de gravier scintillant au soleil de juin que je devais franchir: Nathan m’attendait à l’autre bout. A sa grande perplexité, il me vit soudain faire demi tour et courir dans l’autre sens me réfugier rue Losserand, dans notre ILM confortable, traversant comme une flèche la rue du Bac au milieu des crissements de freins.

Lorsque je lui annonçai que je le «quittais», Biroud fut d’abord incrédule. Une plaisanterie, bien sûr. C’était bien dans mon style d’anarchiste ironique et snob cultivant sans faiblir une hors normalité de bon goût… Non, pas du tout. Son visage changea alors. Stupéfait, lui qui enregistrait toujours immédiatement les moindres de mes remarques (à son sujet, il est vrai) il me fit même répéter. Je confirmai. Il se troubla, tergiversa. C’est la première fois que vis tomber le masque, ou du moins que je perçus ce qui se dessinait dessous. Il se justifia presque. C’était normal que l’on aille de plus en plus mal au début d’une cure, c’était même un excellent signe, le signe que l’on affrontait enfin la vie etc… On en sortait toujours renforcé. (Il me disait cela à chaque fois depuis six mois, lorsque je lui faisais, sans insister pour ne pas le désobliger, la remarque, mais d’habitude sur un ton agacé et condescendant, fort différent de celui qu’il adopta ce dernier jour, affolé et agressif.) Ou mort. Non, voyons, vous exagérez. Faites moi donc un peu confiance. Baissez donc la garde pour une fois. Juste une fois. Mais… Jusqu’où cela irait-il ? Allons, allons… Et il enchaînait en général sur lui-même.

Mais à présent, je ne pouvais plus me permettre de perdre ne serait-ce qu’une once d’énergie, tant pis pour les promesses de ciel radieux qui allait enfin s’ouvrir devant moi. Devant mon inaccoutumée résistance, il fut sarcastique. Ah oui ? Un mauvais tiens vaut mieux que deux tu l’auras ? Vous préférez la médiocrité de votre existence à la liberté ? Vous me décevez infiniment. Certes, vous pouvez choisir de passer votre vie devant la télé dans une ILM ou un pavillon de banlieue après le boulot, mais quel dommage. Il poursuivit, impavide et paternaliste à la fois: non, vraiment, il ne fallait surtout pas interrompre juste au moment où enfin… Oui, il y avait des signes (que lui seul voyait) qui prouvaient que la passe dangereuse était enfin franchie, un peu de patience seulement. (C’était la première fois qu’il s’intéressait aussi longuement à moi, j’en fus presque touchée.) Mais… Niet.

Il changea encore de ton. Je m’étais engagée, cela ne se faisait pas. Il n’était pas un épicier qui reprend une marchandise qui ne plaît plus, qu’on ne confonde pas. C’était contraire aux règles, au principe de la Cure. Que tout son travail fût ainsi anéanti, il n’en était pas question, même s’il devait dans mon intérêt m’attacher sur ce fauteuil… Bref, il s’y opposait. Lorsque je lui rétorquai que je me passerai de mon autorisation, il sembla saisi de stupeur et seulement réaliser alors que je ne badinais pas. Il changea encore. Cette fois, il fut pythonisse sévère et désespérée. Il m’annonça sombrement toutes les horreurs qui n’allaient pas manquer de m’arriver, livrée à moi-même, seule -c'est-à-dire sans lui- dans un monde auquel je n’étais pas adaptée. (Il me rappela Nathan.) Et il scanda enfin l’estocade: j’étais une névrosée grave, gravissime, il n’était même pas sûr de pouvoir me tirer de là, oui, même lui, il n’était pas question qu’il m’abandonne, il n’avait jamais voulu me le dire pour ne pas me blesser, mais à présent qu’il était au pied du mur, il s’y voyait contraint: se taire et laisser faire eût été de la non assistance à personne en danger, il me restait une chance et une seule: lui etc…

Je crois l’avoir vaguement traité de mac, je n’en suis plus sûre, et lui avoir lancé en partant que finalement il venait de m’aider sans le vouloir. Ce serait plus facile ainsi. Car je m’étais attachée, moi aussi, fût-ce à une relation univoque et destructrice que je n’avais pas décidé sans difficultés de rompre. Ce jour là en effet, son attitude m’a en effet été bénéfique: elle m’a soudain éclairée sur la réalité de la «cure» dont je voulais me libérer, d’abord essentiellement par manque de moyens financiers. Mais l’un entraîne l’autre, et le déni, le désintérêt de sa part pour la situation angoissante dans laquelle il m’avait placée et maintenue, aggravée, m’avait tout de même alertée sur la toxicité pour moi de cette relation bizarre, vampirique. L’instinct de survie, en somme. Ma pauvreté en l’occurrence me sauva. Cela aurait pu durer des années.

Un an après, lorsque je voulus lui envoyer «secret de famille» où sont évoquées ces relations d’influence particulières entre psy et patient qui rappellent parfois l’emprise des gourous de secte sur leur adeptes, son numéro ne répondit pas. Par acquis de conscience, je cherchai sur le net. Plus de Biroud psychanalyste. Sur la région même, plus de Biroud simple quidam. Sur la France entière, toujours pas de Biroud du tout.
Il s’était suicidé.


samedi 22 décembre 2012

Le curé



Résolutions, suite

Résolution cinq: aller au Ranquet voir le curé. Qui sait s’il n’y a pas déjà mis le souk ? Cet air d’enfant paumé pour me dire: «je suis un homme donc forcément je ne sais pas faire le ménage, mais il suffit de me le dire et je le fais, du moins ce que je peux…» Oui, sauf les WC, le dessous de l’évier, les lavabos et bacs à douche, enfin tout ce qui est le plus dégoûtant... Le scotch britte et le siff seraient-ils portés par le chromosome X 23 ? Le pauvre petit Y ne fait pas le poids, comme d’hab. Bon. A part ça il est bien et même il me paye presque régulièrement, le cas est rare, il est vrai que ce que je lui demande est dérisoire puisqu'il est censé entretenir le parc. Parfois, il faut un peu gronder tout de même, mais ça s’arrange toujours.

La semaine dernière il a prié toute la nuit pour que les loubards avinés s’arrêtent de crier et de rire sous nos fenêtres. Le matin, il était tout près d’avoir perdu la foi ; Dieu m’a abandonné, je pars définitivement à sa recherche m’a-t-il dit, les larmes aux yeux. Il peut aussi bien le trouver au Ranquet qu’ailleurs puisqu’à mon avis il n’est nulle part. Deus siva naturae. Pourquoi pas ? Il y sera tranquille et gardera la maison. Plof coup triple, je ne suis pas si nulle en affaires finalement. Un hectare de solitude et de bois clos dans une bâtisse sinistre en plein mitan avec des murs de deux mètres qui ne craignent pas les coups de canon et des ouvertures meurtrières, ça devrait lui convenir s’il ne devient pas tout à fait fou avant. Déjà que, même sans ça…
Il y a d’ailleurs toujours un ou plusieurs fous dans la famille*, c’est peut-être à cause de la maison. Ou de la guerre. Actuellement, c’est moi qui ai repris le flambeau. C’est à dire qu’il n’y a plus que moi. Alors forcément.

Il a eu un trauma crânien en lisant la Bible autrefois: il est tombé dans un puits tête première, il y avait un passage qu’il n’arrivait pas à comprendre et plof. Il ne se sentait pas capable d’imiter le Christ etc etc… Un vertige, il ne se souvient plus très bien sauf que Jésus lui a un peu parlé au fond, c’était la moindre des choses vu que c’était à cause de ses obscurités littéraires qu’il était tombé dedans, deux ou trois mots de politesse, (rien de pharamineux qui eût pu le faire canoniser) genre «t’en fais pas, les pompiers arrivent» et pof c’est reparti, ils l’ont pêché, lui et sa Bible. Depuis, il a des boules aux oreilles et est invalidé. Il a une pension. Confortable. Et aussi un gros poil dans la main, non moins confortable. C’est sûrement ma paranoïa qui me rend dure.

Lorsqu’il a fait sauter les plombs, il s’est mis à pleurer. Je lui ai dit priez pendant que j’enclenche l’interrupteur en bas. Lorsque je les ai rétablis, clic, il m’a prise pour Prométhée. Fiat lux. Je biche. C’est honteux.
Je ne suis pas mécontente de rencontrer plus taré que moi.

Moi, je sais enclencher les plombs, clic, et je ne pleure pas lorsqu’ils sautent, je suis une jeune  (dixit le pauvre homme, tout est relatif) femme énergique et courageuse qui sait la vie et qui bricole sans avoir peur, dit-il. Il est chou, ce vieil adolescent avec ses boules de cire permanentes aux oreilles qui dessinent une tache blanche, (du sur-mesure) pour chasser le bruit des démons, terrorisé par les femmes, les hommes, l’électricité, par tout… et prie tout la journée… La comparaison me flatte. Où en suis-je pour me laisser aller à des sentiments si bas ? Minable.

Résolution six: aller demander mon chèque à l’assurance. L’autre petit homo honteux qui joue au grand me regarde de derrière son bunker d’un air sombre, affectant un sourire constipé au bout d’un instant. Je ne suis pas une bonne affaire. Comme d’habitude, je sais.

«J’sais pas ce qu’ils me trouvent, ce qu’ils me trouvent pas»… comme dit Anne Sylvestre. Là, c’est plus simple tout de même car c’est juste une question d’argent. Quoique… Il avait cru avoir trouvé la manne: trois maisons, deux voitures, une pauvre fille unique sans homme ni rien de ce que les autres ont qui ne sait que faire de ces choses qui lui collent au dos après la mort de ses parents… lesquels l’ont tant et tant persuadée que ce n’était pas à elle, qu’elle n’avait aucun droit de propriété sur ces biens qu’elle ne parvient même pas à ouvrir la porte sans crise d’angoisse etc etc… et, depuis que je suis assurée, c’est la catastrophe, il doit croire que je l’ai fait exprès, j’ai été cambriolée, il y a eu la tempête, Erwan, une autre tempête, la cloison abattue, par ma faute ou plus exactement la faute dudit, mais c’est encore de ma faute, la chaudière sabotée, voir le même, plus quelques broutilles.

Bref, mon aventure romanesque, folle et belle aussi lui a coûté des plumes. Et en plus, je me suis permise de jouer les déléguées syndicales pour la pauvre secrétaire surexploitée, qui du reste a aussitôt pris le parti de son patron, et vice versa, si bien que je les ai eu tous les deux sur le dos, ça s’appelle le syndrome de Stockholm, (la solidarité paradoxale de la victime vis-à-vis de son doleur.) L’horreur. Du reste, ils m’ont virée. Assez mauvais joueurs: très grossièrement. Bon, je m’en fous. La MAIF est mieux. Si seulement je pouvais ouvrir mon courrier. Les employés n’y sont pas exploités et à Nîmes, personne ne saura rien de ma vie affective, du reste un désert et qui le demeurera. Résolution permanente : ne jamais prendre un/e assureur/e qui soit une relation que l’on côtoie plus ou moins tous les jours. C’est l’inconvénient des villages.
On me déteste parfois. Pourquoi ? On m’aime aussi, souvent. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons. Les deux offrent des avantages et des inconvénients. Il n’est pas désagréable d’être détestée par les salauds. Mais ça fatigue aussi. Surtout lorsque leurs victimes prennent leur parti.

jeudi 20 décembre 2012

Sombre le Titanic



Résolution sept: ne plus être angoissée. Seulement, pour ne plus l’être, il faudrait faire justement tout ce qui m’angoisse. Cercle vicieux.

Résolution huit: contacter l’agent littéraire. C’est le plus facile.
-- Allo, je suis machin, oui, machin, vous ne connaissez pas, ça ne fait rien, personne ne me connaît, j’ai l’habitude et ça me va, j’ai vendu x exemplaires de Truc, et z de Chose -il faut toujours leur parler immédiatement argent sinon ils se déconcentrent- je sais que ce n’est pas beaucoup mais ce n’est pas si nul tout de même, bla bla bla… Je vous offre trente pour cent -c’est plus que ce qui est exigé d’habitude mais comme je suis un cas, je ne lésine pas-.

Je ne sais pas me vendre, mais je fais des progrès vertigineux. Il ne me faut plus qu’un mois ou deux pour appeler un agent au lieu d’un an ou deux.
J’avance. Lentement mais sûrement.
Eli, Eli lama sabacthani ? Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonnée ? Itkadaal shemirabat adonaï eloheno… Kaddish.

Résolution neuf: ouvrir la galerie. C’est le plus facile car presque personne n’y vient en ce moment, ils sentent sans doute mon mal être et je suis bien tranquille. Mais auparavant il faut faire le ménage, voir résolution une.

Résolution dix: porter plainte contre Erwan qui me harcèle au téléphone. Je sais que je ne le ferai pas. Je bloque dès que j’arrive chez les flics comme un âne devant un serpent. Un bull ne me ferait pas avancer, ni reculer du reste, ça fait bizarre, ils vont finir par me mettre chez les fous s’ils s’en rendent compte. Le dernier scoop: il aurait le sida. D’où le test.
Mais je suis méchamment satisfaite d’avoir trouvé plus taré que moi.
Voir le curé.

Résolution onze: ne pas me suicider. Je sais que je ne le ferai pas.
Pas la force. Ca me rappelle les comiques cas de conscience de Jean avec «ses» paranoïaques: ou je lui mets x nanogrammes en moins et il coule à pic, ou je les lui ajoute par sécurité mais il risque alors d’aller tuer le voisin ou de se suicider. Vanitas vanitatum, ô Descartes: peut-être en effet ne sommes-nous qu’une machine à l’équilibre biochimique aléatoire et ultra précis à la fois ? Est-ce, pour moi aussi, une question de progestérone ? J’ai toujours pensé que «Etre et temps» correspondait à l’andropause de Heidegger.

Résolution douze: ne haïr personne. C’est facile, sauf pour moi et Heidegger, dans l’ordre.

Résolution treize: comprendre pourquoi je suis ainsi. Ou prendre des cachets. Ou faire un stage de développement personnel, qu’on dit. C’est la mode. Un peu cher mais... Crier, comme on voit à la tévé à mon père mort: pourquoi ? Pourquoi ? Mais il n’y a pas de pourquoi, je sais bien. Dix ans de philo ; pas pour des prunes. «Tu m’as bousillée» -mais lui-même l’était-. Ou à ma mère «ce n’est pas de ma faute si je ne suis pas la fille de Gustau mais tout bêtement celle de mon père» etc… Ou danser, remuer, faire du sport. Ou séduire des hommes, enfin tout ce dont je suis incapable ou dont je ne veux pas. Pas de cachets. Par orgueil.
Le Titanic sombre, pavillon haut, illuminé. Mais ne se rend pas. Foutu orgueil.

Si pour exister j’ai besoin de ces artefacts, cela veut dire que je n’ai pas à exister. Eugénisme communiste platonicien, je suis bien formatée, merci maman. Ou alors il faudrait me persuader que j’ai une valeur littéraire ou autre. Mais pour cela, exister. On y revient, toto, ça tourne. SOS.

Je suis un être incomplet auquel il manque juste une case, un seul élément d’un puzzle, ça ne semble rien, mais ça rend inopérant tout l’ensemble pourtant assez bien construit vu de l’extérieur.
Cet élément, c’est l’existence. Je ne suis simplement pas née parce qu’on n’a pas voulu que je sois. Merci maman (mais ce n'était pas de sa faute, la guerre, la mort de Gustau..) Tout le reste va très bien. Galerie, livres, culture, musique et tout et tout. Cela dessine une image agréable, jolie ; pour la galerie, c’est le cas de le dire. Conforme. Et irréelle.

Sophie dit qu’elle m’admire. Depuis, je n’ose plus la regarder en face, j’ai peur de sentir mauvais. Ce qui doit être le cas du reste. Bon, ne crachons pas dans la soupe. C’est toujours ça de pris. En fait, c’est moi qui l’admire: elle a l’air d’avoir vingt ans de moins que son âge, elle est vive et cultivée, elle a réussi à garder en vie et avec elle un vieux mari érudit qu’elle laisse à la maison car il n’est plus trop portatif, elle s’occupe de ses oliviers et de philo, et elle est de toutes les associations qui existent devant l’éternel, ateliers d’écriture, de lecture, chorales, danse moderne, tango, amnesty international s’il vous plaît, le nec plus ultra ici de la grande bourgeoisie souriante et cultivée qui veut chanfreiner en groupe sa conscience malheureuse… et même des crématistes, ça existe, des gens qui rêvent de se faire brûler -en principe morts, encore qu’on ne sache jamais, il y a peut-être des intégristes- et qui militent pour ça avec ferveur (il y a donc plus taré que moi). Ma mère était l’une d’eux. A cause de Gustau, qu’elle a dû voir mort, je l’ai su après. Ne nous moquons pas trop.
SOS.


Le soir. Sida or not sida ?

Je reviens de chez Bouchacourt. Je n’ai rien. Il a décacheté l’enveloppe devant moi. Pourquoi ne puis-je effectuer ce simple geste sans sueur froide et vent de panique qui s’annonce ? Ne serait-ce que de le voir effectuer devant moi, ça me noue les tripes pour l’héroïque qui fait ça tout naturellement, naïvement, sans se rendre compte du danger qu’il court. Un surhomme. J’ai l’impression qu’il va déclencher la troisième guerre mondiale ou plutôt, pire, que la missive va lui annoncer qu’elle est déjà commencée. Dans la vie courante, c’est invalidant. Les gens ne comprennent parfois pas. Mais parfois, si. C’est avec les administrations que j’ai du mal. Ça m’arrive à présent de le leur dire (au téléphone) ce qui constitue un énorme progrès. Mais de loin, je les sens loucher vers le cabanon, l’air de rien. Qui sait ? Peut-être y serais-je en effet tout à fait bien. Un fou, c’est tranquille.

Je suis épuisée par tous ces efforts. Je vais m’allonger et regarder un navet à la tévé. Oublier. Honte de moi. Dormir. Ne plus penser à ça. J’ai le droit de vivre. J’ai le droit de vivre. J’ai le droit de vivre. J’ai le droit de vivre. J’ai le droit de vivre. J’ai le droit de vivre.
J’ai vu un navet. En fait, je me suis endormie avant la fin et je ne saurai jamais qui a tué… Au fait, je ne sais même plus qui a été tué. Je vais lire. Non, jouer du piano. Non, redormir. Quelle honte. J’ai autant d’énergie qu’un plat de nouilles.
Peut-être si je mangeais ? Seulement avant, il faudrait cuisiner. Donc aller au premier. L’escalier… Brrr… Et ça me dégoûte d’avance. Un café serré. En me tendant le Renutryl, la jolie pharmacienne propre sur elle, brushing du matin, cheveux brillants et dents éclatantes sur fond de blouse immaculée, bref le concept de pharmacienne m’a dit:
-- C’est pratique si vous sautez un repas ».
Sauter un repas ? Un repas, pour moi, ce serait plutôt le non-repas habituel sauté. Je ne mange pas du tout durant des journées entières, je n’ai pas compté, jusqu’à trois ou quatre. Je bois du lait, c’est la seule chose que je supporte, avec le café et un peu de pain sec ou moisi les jours fastes. Normalement, je devrais être morte: la pharmacie n’est pas une science exacte. Elle me regarde avec la commisération aimable de sa profession qui en voit de toutes les couleurs. Vous devriez consulter. Elle me donne une adresse. Je sais que je n’irai pas.

mercredi 19 décembre 2012

Juifs, proscrits; bunalim



Le lendemain

Je n’ai rien fait de tout ce que je devais. Sauf ranger. Je me suis levée à dix heures. Non, dix heures trente. Même à ce journal, je mens, j’ai peur qu'il me juge. Je veux me faire bien voir du lecteur. Mais qui est ce démiurge omnipuissant et protéiforme qui me terrorise ? Je ressemble au héros des «Séquestrés d’Altona» Goetz Von Gerlach qui imagine que des crabes enregistrent ses faits et gestes afin de lui demander des comptes plus tard. Et il ment aux crabes, c'est-à-dire que pour tout ce qui a trait à des événements honteux de sa vie -son amour incestueux pour sa sœur par exemple- il exige d’en parler caché dans la pièce murée (où les crabes ne peuvent entendre). Sauf que je n’ai pas de pièce murée. Et que les crabes sont partout. Mais je ne suis pas amoureuse de mon frère, d'ailleurs je n'en ai pas plus que de sœur.

Je vais aller au Ranquet, c’est décidé. Faire la lessive.
Cela fait deux ans que je n’ai pas fait de lessive de fond, ça commence à faire.
J’ai donné à Bouchat ce papier. Un médecin, peut-être cela me guérira-t-il ? Un œil qui ne soit pas celui de Caïn. Juste un œil. Qui se marre si possible car je ne veux pas ennuyer le peuple. Peut-être à Yvette. Ou à Jean-Baptiste. Ou à un éditeur.

Erwan m’a dit au téléphone qu’il «passerait» aujourd’hui. Merde merde. Au fond, il a eu ce qu’il voulait: ma voix attentive durant une minute lorsqu’il m’a dit qu’il avait le sida… pour que je ne raccroche pas tout de suite comme d’habitude. Je m’en doutais.
Ma voix, mes oreilles écoutant, trois minutes son sabir de français, turc et kurde valent-elle une si sinistre blague ? J’en serais presque flattée, moi qui n’ai jamais été écoutée ni vue autrefois...
Redite: je ne suis pas mécontente de trouver plus fou que moi.

Comment appeler ça ? Amour fou ? Exploitation affective ? Folie tout court ? Sadisme masochisme ? Jalousie pathologique ? Gaminerie ? Là aussi, il n’y a pas de mots ; Erwanisme, voilà: il va devenir par mes soins un cas d’école.
José prétend qu’il ne cherchait en moi que la sécurité. Il a du mal à saisir que je ne l’aie jamais entretenu. Qu’au contraire, j’aie même dû lui interdire -et violemment- de tout prendre en charge au Ranquet dans le jardin, ce qu’il eût aimé par-dessus tout, la seule chose qu’il sache faire, à part tirer à l’AK 47 (mais ça je n’ai pas vérifié car ça ne me faisait aucun usage) c'est le travail de la terre. Ouais… Et toi coco, tu cherches quoi ? Il s’est tu. Et Nathan il cherchait quoi ?

Il faut dire que je suis coupable moi aussi. Un tel «amour», je n’en avais jamais connu, même avec Nathan ou Dominique qui malgré sa passion, restait tout de même un intello parfait sous tout rapports, beau, amène, joueur de tennis, cavalier émérite, bateau à la Baule, humaniste, Amnesty et tout, très Ranelagh en somme.
Un excellent spécimen de ce que la France d’en haut, comme dirait l’autre gras du bide, peut produire de mieux.
 
Dommage qu’il y ait eu Nathan avant lui, il eût été un excellent reproducteur, je pense, avec tous ses mélanges de gênes et son allure. Enfin, Nathan aussi, mais question gênes, le pool est plutôt restreint chez les juifs libanais, mauvais pour les chevaux comme pour les hommes… Pourquoi les bourgeois, les aristo -ou les paysans- s’infligent-ils ce que des éleveurs ne feraient pas subir à des vaches ? Pour que l’argent, la terre, le nom restent dans la famille. Pour la pureté de la race. Comment ne voient-ils pas qu’ils se détruisent? Comment ont-ils osé faire ce drame parce que Nathan avait convolé en dehors du clan ?

Nathan, sa dépression, brrr… Dépression, drôle de mot. De toubib et de psy. On devrait les attaquer pour exercice illégal de la philosophie. Mais ça simplifie aussi, les mots. Dépression. Soit. Notons que le mot n’existe pas en kurde. Ils disent simplement bunalim, j’ai mal d’être qui semble mieux adapté. En tout cas, on n’a pas la même Nathan et moi. Lui fonctionne très bien sur tous les plans, mais… tout est noir, les croissants ne sont jamais frais et le café manque toujours d’arôme. Comme sa mère. Et le bazar à la maison, un cas de référé. Jamais ou si rarement d’enthousiasme, de joie simple, de rire vrai. Je suis nulle, je ne sais pas ranger etc… Cet ex militant courageux et retors, beau et drôle, ami d’Azzedine Kalak -qui fut assassiné deux mois avant la naissance de Guillem- a mal évolué. J’écris comme un cochon, il ne comprend pas comment il y en a qui peuvent me lire. J’ai tout raté, je suis nulle… Bon. On était faits pour s’entendre.
Chez moi, c’est: tout les autres sont bien, il n’y a que moi qui fais tache. Chez lui c’est: tous les autres font tache, il n’y a que moi qui suis bien. Quoiqu'en un sens ce ne soit pas si différent. En somme, on s’emboîtait parfaitement.

Sauf pour le pieu parce que tout de même faut pas exagérer. Tu es frigide etc… Tout cela n’était certes pas faux mais.. je ne l’étais pas avec Erwan. Il l’a compris, à demi. Ça l’a vexé. Non, coco, ce n’est pas parce qu’il a trente ans de moins que toi, rien à voir avec une vigueur quelconque ou des dimensions péniennes, il a fallu lui préciser ces évidences -et pourtant il ne s’était guère gêné pour batifoler depuis longtemps sans la moindre mauvaise conscience- Erwan est monté comme un canari, j’ai un peu exagéré, par délicatesse ça l’a fait marrer -Nathan, pas Erwan-.
-- On a des petits plaisirs mesquins parfois lorsque l’on est cocu par les œuvres d’un gamin de trente ans qui parvient, lui, à émouvoir son glaçon» a-t-il observé en relevant la tête. Il a conclu, soulagé (!) très fils Misrahi, avec toujours ce mouvement arrogant du chef oriental que je trouvais émouvant autrefois et qu’à présent je déteste car il me rappelle sa mère:
-- Tu dois donc aimer les imbéciles ou jouer les lady Chaterley…»
C’est à voir. Imbécile ? Que non. Inéduqué, oui. Mais pas pour tout.
Le gentleman n’était pas celui que l’on pensait.

Peut-être en effet m’a-t-il mis à l’aise, lui. L’admiration qu’il avait pour moi, même malvenue et puérile, je n’y étais pas habituée. Le cerveau est notre organe sexuel de base. Pour que ça marche, il faut que l’on m’admire. Alors forcément, c’est rare. C'est-à-dire que c’est jamais. Normal, je ne suis nullement admirable. Une fois tous les dix ans, et encore je vois large.

Dominique, oui. Je l’amusais car des femmes comme moi, il n’en avait jamais vu dans son microcosme macrocosmique Ranelagh. On était mutuellement exotiques l’un pour l’autre. Et soudain, entre deux éclats de rire, vint le désir, fulgurant. On aime quelqu’un pour une phrase. Cela suffit.
Il n’y a que toi qui puisses énoncer ça sans que ça me fasse hurler de rire…  Tu es géniale…»
J’avais qualifié mon beau-frère de vampire du peuple brésilien, on y reviendra. Dominique avait marqué l’arrêt comme un pointer en chasse, sourcil relevé, je n’avais pas cillé, gravement confirmé, puis son regard avait viré et il m’avait prise dans ses bras, c’est comme ça que ça a commencé.

Patrice également. Je l’ai aimé (là, c’est moi) le jour où, après que j’aie critiqué Kant durement, ironiquement, il a constaté d’un air accablé (une partie de sa thèse était à refaire):
-- Tu as raison. L’ennui avec toi c’est que tu as toujours raison… »
Le désir a surgi immédiatement. Mais je n’ai pas osé le prendre dans mes bras, on ne prend pas dans ses bras un concept, un pur esprit en marche vers la Vérité. A partir de Kant. Où va-t-il se nicher ? Il ressemble tant à Villepin que cela m’agace. J’ai l’impression à chaque fois que je le vois à la tévé qu’il copie Patrice. En fait, ni l’un ni l’autre ne se copient. Ils copient seulement tous deux un archétype éternel de l'homme cultivé et bien disant, pas macho, généreux et humaniste, que l’on imagine amant attentionné au pieu.

Et Nathan ? Ce doit être cette foutue judaïté qu’il cachait. Qui était ce type qui ne voulait pas dire ce qu’il était ? Tous également en rupture de ban avec nos origines -disions-nous- nous avions ri de l’œcuménisme de notre groupe constitué au hasard ce soir là à la cité internationale. Nous nous étions mutuellement présentés, avec un brin d’ironie, à partir de nos provenances c'est-à-dire de nos tares, tels des chiens qui se flairent le cul pour se situer. Hadj s’était déclaré de famille musulmane sunnite ; Sonia, protestante cévenole évangéliste ; Frédérique, catholique banale ; moi, communiste -autre type de religion-… et ce beau type sombre qui me fixait de loin, et qui ne disait rien ? Qui éludait, comme je le vis si souvent faire ensuite, avec un brio époustouflant. Libanais ? Soit, mais cela ne disait pas tout. Sur sa carte d’étudiant qu’il me passa ensuite pour que je prenne les places au cinéma Saint André des arts, il y avait inscrit Nathan. Nathan ? Pas Norbert ? C’est plus joli, Nathan.
-- Tu es juif ? Oui. Le désir a surgi.
Il l’avait caché à tous. Je lui ai pris la main. Le reste s’est enchaîné, avec quelques ratés, vingt ans tout de même et deux enfants.

Tout comme Erwan, lorsqu’il m’a dit:
-- je suis Kurde.
Il me faut des proscrits, en principe, ou des compliqués. D’une manière ou d’une autre. Bon, ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Ça explique le désert de ma vie sexuelle. Je revenais de Montpellier où j'avais acheté des livres d'apprentissage de turc. [Le kurmanji est beaucoup plus facile pour un français que le turc.] Triple zut. J'ai éclaté de rire, pour la première fois depuis la mort de ma mère.
-- On n'a pas le cul sorti des ronces. Mais pourquoi ne me l'as-tu pas dit? 
-- Parce que (geste) je pensais (geste) que tu allais me virer (geste). 
--Tu me prends pour qui?
-- C'est comme ça d'habitude en Turquie. 

lundi 17 décembre 2012

Sakar, les kurdes



Kurdes

Sakkhar ? En un sens, oui. Lorsqu’il m’a dit:-- Tu es ma sœur, parce que… des femmes comme toi, ça n’existe pas. Ca ne peut pas exister au Kurdistan.
(Moins vingt l’hiver et plus quarante l’été, foutu bled.) Sans mari, sans frère, sans père ni mère, sans famille, sans rien… Donc, si tu veux me faire cet honneur, je t’adopte, nous t’adoptons…» Ma sœur… Merde alors. Et puis ça l’arrange parce que si nous devons crapahuter dans les montagnes, sous le feu ou non, il faut qu’il y ait entre nous des liens qui excluent tout qu’en-dira-t-on. Sacré cul béni de Sakar ! (Mais il est athée et m’a fait jurer de ne jamais le dire. Je le trahis donc. Brûler ce passage. Ou le raturer serré, il en va de la révolution au Kurdistan, qu’il dit.)

Pas de désir -un homme marié, fî donc ! Et puis, après trois attentats contre lui et deux ou trois blessures graves au combat, il a toujours de beaux yeux, comme Céline, mais on aurait peur de le casser-… mais une intense joie. Un frère ! Bigre !
Sauf que je n’imaginais pas avoir un frère général de peshmergas -et un peu seigneur de la guerre, coco, faut pas me la faire, frangin, si tu crois que je n’ai pas compris que tu rêves d’en découdre pour l’agrandir, ton mini Kurdistan en forme de bite flaccide -manquent les couilles qui, dans ta géographie «historique», seraient taillées dans l’Iran des Mollahs- et que tu cherches une intello française engagée pour la cause kurde et pas encartée, bref une humaniste qui serait ta biographe dithyrambique, bref moi, dénichée par un chasseur de tête présentement sis à Sauve qui se nomme, on a du mal à y croire et pourtant c’est vrai, Mac Killer !!!- mais ça me va parfaitement. Échange de sang ? Non, ça non, symbolique seulement -et le sida coco?- C’est sérieux leur truc, devant témoins avec papiers et tout. Le moyen âge et le 21ème siècle à la fois. J’ai donc un frère et pas n’importe lequel. Ça me touche infiniment. Où en suis-je ?

Et, vingt dieux, un frère riche depuis que ce salaud de Bush leur a filé quelques millions de dollars. Ça, c’est le point noir. Le pétrole. Ils vont le payer cher. Ou bien ce sont les iraniens qui vont le payer cher, les fadas. «Bombe sans frontières», en somme, si on écoute le discours de leurs peu riants barbus enturbannés brrr. Ils vont l’avoir, leur bombe nucléaire, y a pas de raison, «la bombe pour tous». Avec le Pakistan et l’Inde qui se regardent en chien de faïence sur la frontière du Cachemire -et la bombe dans leurs soutes- on est mal partis. Sakar le cache à peine. Il la veut lui aussi, et il en a les moyens à présent, question de sous et de temps, les russes soldent le matos. Mon frère. Ils vont faire sauter la planète à force de se dissuader mutuellement de le faire.

Qui va mettre de l’ordre dans ce bazar ? D’après Mac Killer, qui joue son contrat donc son fric et tire dans tous les sens, je peux y contribuer. Trop drôle. Où en sont-ils, les malheureux pour s’accrocher à un radeau si percé ? Combien vaut ma plume ? Il n’a pas voulu me le dire. Au fond, c’est un mac haut de gamme qui ne cherche pas une pute mais un écrivain -et une femme si possible- ou ce qui en l’occurrence y ressemble un peu qui ne craigne pas trop les bombes, waterproof, quoi, et engagée depuis longtemps -pas le genre à s’être rallié à présent qu’ils ont le fric de Bush- pour les kurdes. Ça tombe sur moi, c'est vrai que ça ne court pas les champs. Combien vaut ma plume qui relaterait en trois langues les faits d’armes, les combats, galvaniserait les masses françaises etc ? Ils admirent la France. Ils veulent le soutien du pays des droits de l’homme etc… Bon, c’est touchant. Mais avec les millions de Bush... Le monde politique est bizarre.
On soutient des génocidés et soudain, avant même que l’on ait posé son stylo, les voilà qui se retrouvent génocideurs…
Le soutien aux ex victimes s’avère un soutien à de futurs bourreaux. Par le jeu des alliances et des retournements de politique. Ils vont finir par faire comme Israël, c'est-à-dire massacrer les iraniens…
-- Non, où tu vas ? Pas massacrer, tu me prends pour qui ! Déporter ! » s’indigne-t-il vertueusement pour rassurer la sœur que je suis, geste à l’appui, (plof plof, je te prends un village et plof plof je te le mets ailleurs, délicatement, les femmes enceintes dans un camion sous des couettes avec les vieux, on a de l’éducation chez les kurdes.) Mais Sohar, plus fine, a éclaté de rire devant ma grimace…
Comme les juifs l’ont fait aux palestiniens. C’est pour ça que les mollahs se dépêchent de faire la bombe. Ils n’ont pas envie qu’on leur taille des couilles dans le côté bas de leur pays, même si historiquement (?) le grand Kurdistan comprenait bien cette partie là de leur savane.
-- Je peux réunir dix mille hommes et x stinger.»
Eh oui. Et tu en feras quoi, frangin ? Une chance: ça va être l’hiver.
-- On ne se bat pas par moins vingt degrés ! m’explique Sohar, toujours pragmatique et posée en essuyant la vaisselle. Il le déplore, c’est un fâcheux contre temps. Même les stingers, issus des américains et rachetés aux Talibans !!! ou aux tigres noirs cachemiris !!! Du beau monde, quoi… s’enrayent par ce temps de cochon.
-- Mais lorsque tu achètes du pain au boulanger, tu ne lui demandes pas s’il vote Le Pen !» rétorque posément Mostapha. Un fou rire comme jamais, qui s’est communiqué à tous, elle est marrante la française… Ou plutôt c’est nous qui la faisons rire, on se demande pourquoi. Ils sont mignons, ces héros en vacances forcées. Les stingers, des trucs à faire sauter la tour Eiffel en deux coups- portés par un homme, ou une femme, légers, maniables et tout, gèlent comme n’importe quoi Dieu veille. Sohar me fait un clin d’œil et rit. -- Chômage susurre-t-elle.

Elle est blessée depuis l’anfall ; elle a dû marcher 500 kilomètres dans la neige, les sbires de Saddam aux trousses, les gazages type Halabja en perspective, les mitraillages etc… elle qui était habituée à prendre la voiture pour aller acheter le journal avoue-t-elle en riant. Contrairement à d’autres, elle a survécu mais ses genoux, eux, n’ont pas résisté. Elle en est à sa troisième opération. A quarante ans, elle boîte terriblement. Ça ne l’empêche pas de frotter toute la journée. Elle me fait sentir ma nullité. Femme au foyer émérite, elle a dû laisser sa maison familiale plus ou moins le pilaf au four. Elle n’y est jamais retournée. Elle m’a demandé si je voulais bien l’y accompagner. Seule, ça la noue. Comme moi au Ranquet, en somme, pour des raisons différentes. Toute sa famille d’origine est morte sauf son frère. Elle se dit chanceuse car son mari est vivant et ses deux fils également, ainsi que son frangin. Elle essaie de perdre du poids car son ossature fine ne supporte pas la charge. Un visage magnifique, fin, de poupée pâle. Elle souffre en permanence mais garde un sourire lumineux. Il y a des rampes tout le long des murs qui mènent à la cuisine et partout, même dans le jardin pour qu’elle puisse étendre le linge. Il me semble qu’à sa place je ferai la tête devant les si nombreux visiteurs. Elle, non.
-- Ce n’est pas qu’il soit macho, Sakar -me dit-elle en pointant mon froncement de sourcils- mais il est encore plus mal en point que moi, tu vois. Avant, il recevait lui même, faisait la cuisine et tout, ne crois pas…

C’est à voir. Elle aime trop son Sakar, même et surtout en morceaux pour que je la croie sur parole. Mais elle n’est pas voilée et ne comprend pas que l’on le soit. C’est tout juste si elle n’a pas employé l’expression de cul béni.
-- Va tenir une kalachnikov avec un voile !» Me dit-elle tout naturellement, comme si cela constituait l’inconvénient majeur et essentiel de la burka.
Ni discours idéologique, ni pathos inutile, juste un constat: ce n’est pas pratique. Je me marre. Elle aussi, par mimétisme, car je crois qu’elle ne saisit pas ce qu’elle a dit de drôle. On se fait rire mutuellement, ça rafraîchit l’atmosphère, assez lourde il faut dire.

Un personnage, Sohar. En aurait-elle «tenu» une ? Tiré ? Sans doute. Cette maîtresse de maison souriante qui cuisine comme jamais est aussi une kurde issue d’un clan de seigneurs de la guerre, sœur de l'un d'entre eux et non des moindres, la guerre qu’elle n’aime pas mais à laquelle elle a dû participer. Son anglais est parfait. Est-ce un hasard ? Sakar, lorsqu’on rigole ensemble elle et moi, a toujours besoin de quelque chose ou quelque document à me faire voir etc… Il me rappelle ma mère. Jaloux. De qui ? D’elle ou de moi ? Des deux sans doute. Je suis la française écrivaine qu’il a déniché, lui. Je lui appartiens. Pas à Sohar. Va te faire foutre.

Je vais aller faire la lessive et voir si le curé n’est pas tombé dans le puits. J’appellerai Sakar ensuite. Il s’est engueulé avec B., qui est le frère de Sohar. Il a envie que je les rabiboche. Il m’a prévu une interview… Hypocrite. Là bas, pleuvent les bombes ou plus exactement les jeeps. On verra. Sohar veut venir avec moi. Le pire est que je l’aime bien. Où en suis-je ? Nulle.

J’ai vendu une toile. Ce n’est pas tous les jours que ça arrive. Presque jamais, même. Le Christ, j’aurais pu le vendre plusieurs fois mais je m’y suis mal prise. Une femme, belle à couper le souffle, (franco-arabo-allemande m’a-t-elle précisé, recette à retenir) était restée une heure devant, elle calculait comment le prendre, où le mettre, si ça plairait à son bonhomme qui est musulman… Il fait un mètre cinquante sur deux -le tableau, pas le bonhomme- il faut dire, et on ne peut pas le plier. J’ai été appelée au téléphone par Mac killer, ça a tout foiré. Tant pis. Je le vendrai plus tard. Il m’énerve, le Christ, de me regarder pendant que je travaille. Il me tarde d’en être débarrassée. Je vais le solder.

Je n’ai pas appelé Roche. Merde. Ni l’agent. Je vais le faire immédiatement. J’ai dit !


dimanche 16 décembre 2012

Elizabeth I



Le lendemain

Ca s’arrange… J’ai même réussi à monter au premier et à prendre une douche chaude. C’est mieux que l’eau froide. Pourquoi ne puis-je m’autoriser ces plaisirs simples ? Pourquoi me mortifier ? Dormir sur le sol et me laver à l’eau froide ? Je mérite une douche chaude. Et un bon lit. Même si la guerre fait rage en Irak et ailleurs. Et de dormir huit heures. Ce que j’ai fait. Je n’ai plus mal au dos. Cette fois, c’est Simone Weil que j’évoque (la sombre philosophe anorexique, pas la ronde ministre souriante, évidemment.)

J’ai aussi contacté l’agent. Il reste à lui faire le mail. Ça, ce n’est pas difficile. Autant je bloque sur le courrier, autant les courriels et le téléphone ne me dérangent pas. C’est abstrait, quasi anonyme.

José a réparé ma porte. J’ai de bons amis. Pas les mêmes qu’avant, mais ça ne fait rien. J’ai fait le ménage, en somme.

Inévitablement, Erwan a appelé. J’ai raccroché aussitôt. Il n’a pas insisté. Heureusement qu’il n’a pas d’argent, sinon…

J’ai apporté le linge mais pas eu le temps de le laver. Cela prendra plusieurs jours. Je file au Ranquet. Ma porte, enfin ! On a des plaisirs simples… Une porte ! Le curé va bien. Comme prévu il n’a rien fait sauf prier. Je ne sais pas s’il a trouvé Dieu mais à tout hasard je vais demander à José de bloquer la porte du puits on ne sait jamais. Je lui ai demandé de tondre. Il a commencé par détraquer la débroussailleuse, assez spéciale il faut dire. Espérons que José saura la redémarrer. Moi, je n’ai pas la force en ce moment. Et je ne veux pas l’humilier.

José a démarré la débroussailleuse et le curé s’est régalé. Finalement il n’a pas un tel poil dans la main, juste un blocage devant les choses mécaniques et l’électricité qui le terrorisent. Il était tout content, un gosse. Du coup, je crains de l’exploiter. Auparavant, c’était lui qui m’exploitait. Mais s’il tond réellement un hectare entier, même si je m’en suis déjà acquittée récemment, ce qu’apparemment il est décidé à faire, c’est moi qui vais l’exploiter. Où est la marge ? On est toujours sur le fil du rasoir.

J’ai mangé cinq ou six nems au poisson, comme ça, l’air de rien, en conduisant, et bu un litre de lait. Puis, au retour, une tourte au fromage entière, l’orgie, avec encore du lait, re orgie, tout en roulant.

Familles pathologiques

Je mange comme Elizabeth d’Angleterre signait ses arrêts de mort, distraitement, l’air de ne pas savoir, entre deux dossiers. Elle éprouvait pour la hache un dégoût** qui à son époque passait pour singulier voire un peu pusillanime. Une reine ! Et la fille d’Henri VIII ! (Mais peut-être, justement…) Cet instrument de règne peu coûteux et efficace était alors considéré comme la base de tout pouvoir, absolu ou non, et en tout état de cause hautement générateur de paix, (et en un sens il l’était.) Dudley l’avait fort bien compris qui lui cachait toujours ses ordres d’exécution dans une pile, entre deux demandes de subventions pour orphelinats ou fondations culturelles diverses, lui tendant la liasse l’air de rien, à un moment particulier, en fin de journée ou avant une audience importante et délicate qui l’absorbait entièrement. Elle signait à la hâte en relevant seulement le coin des documents, sans lire. Surtout ne pas lire. C’est ainsi que la Stuart qui attendait depuis des mois à Fotheringay a enfin pu être décapitée, au grand soulagement de tous -y compris d’Elizabeth qu’elle avait essayé de faire assassiner-.

Le matin, la reine s’indigna. On lui avait fait accomplir contre son gré quelque chose d’horrible, la mort de sa propre cousine, de sa sœur, que ne pouvait-elle revenir en arrière etc… Hypocrite ? Non. On se ressemble. Elle devait avoir une peur atroce du courrier, de ce qu’une dépêche reçue ou envoyée pouvait générer, en l’occurrence la hache et la mort, bref de toutes les taches désagréables mais indispensables qui incombaient à la souveraine qu’elle était… et ces choses terribles qu’elle savait devoir faire mais qu’elle ne pouvait se résoudre à faire, elle feignait de les ignorer, de les exécuter sans s’en rendre compte, en pensant à autre chose, par distraction*. Comme moi, manger.

Quels étaient les démiurges terrifiants qui la harcelaient, elle ? Dans son cas, c’est facile: sa mère Anne Boleyn -une aficionada du green responsable entre autre de la décollation de Thomas Moore- avait à son tour été décapitée sur ordre de son père Henry VIII, autre fervent de la machine, version Tudor de l’arroseur arrosé… et elle-même, dans sa folle jeunesse, avait failli y passer de la même manière… une vague histoire de cul et de religion, très exactement d’inceste avec le jeune mari intriguant et déluré de sa mère de substitution -la bonne Catherine Par, veuve soulagée de son barbe bleue de père- qui l’aurait harcelée et serait peut-être parvenu à ses fins, le viol constituant alors un système efficace fort en vigueur pour forcer un mariage et ainsi se placer socialement, en l’occurrence devenir roi d’Angleterre. Elle ne s’était pas trop défendue dit-on et, par la grâce de sa demi sœur Mary la catholique dite non sans raison bloody Mary, ça a fait un apéritif depuis, la hache n’était pas passé loin de son cou gracile. Enfance.
-Et moi ?-

A côté des Tudor, même ma famille paraît normale, c’est dire. Un cas pour psy, ces rois d’Angleterre. Un père purulent (syphilitique) qui répudie -et probablement empoisonne- sa femme qui, au bout de huit ou neuf grossesses, n’avait pu produire qu’une maigre fille moche et tarée (la fameuse bloody Mary)… sa femme qu’il accuse d’être maudite… (Certes les rois Catholiques d’Espagne promoteurs de l’inquisition dont était issue Catherine ne constituaient pas un modèle de bienséance équilibrée mais enfin elle était plutôt réussie par rapport à sa sœur dite la Loca -folle- qui voyageait et dormait avec le cercueil suintant de son mari Philipe, dit le Beau mais présentement réduit à l’état visqueux, parfois ouvert pour un baiser vespéral -un prétendant ambitieux et cupide, lorsqu’il sut qu’il devrait cohabiter nuit et jour avec son prédécesseur auquel, en épouse aimante, elle ne manquait jamais de demander son avis sur tout, renonça, épouvanté, et à la femme, et au trône qui allait avec-.) Un père donc qui emprisonne sa femme -et sa fille dans la foulée- pour épouser une sanglante parvenue qui ne lui donne également qu’une fille, Elizabeth -mais réussie, celle-là-… puis, sur son élan, fait couper la tête à la maman au moment même où il organise dans la liesse populaire les fêtes de son troisième mariage avec une frêle adolescente de pur sang bleu… qui meurt en lui donnant un fils avarié etc etc… (Si cela constituait un scénario de film, on le dirait trop chargé.)
Et qui à sa mort laisse dans sa descendance -comme dans le pays- un merdier comme on n’en conçoit pas dans les pires familles de la DDASS: les deux demi sœurs, la catholique et l’anglicane s’accusant mutuellement d’être bâtardes -ce que leur père commun avait du reste affirmé de l’une comme de l’autre- et se voulant mutuellement la peau par partisans interposés -ou directement-… Une malheureuse cousine de dix-sept ans mise malgré elle sur le trône pour réconcilier les sœurs ennemies ou plus exactement leurs fidèles… et aussitôt décapitée sur ordre de Mary, avec, comme il était d’usage, toute sa famille et ses partisans… et ensuite l’autre Mary, la redoutable fada écossaise -une cousine elle aussi- dont le jeune mari roi de France (avarié, comme tous les fils de la Médicis) pourrissait par les oreilles fourbissant ses highlanders -dans tous les sens du terme- pour s’emparer de l’Angleterre «vacante» -avant d’être décollée à son tour, mais par Elizabeth cette fois-… après un bain de sang en Ecosse comme jamais… Tout ceci constitue la suite (mais non la fin) du scénario mis en place par Henry VIII et ses pantalonnades. Entre le règne de bloody Mary désireuse de venger sa mère, sa religion et son honneur… et, au Nord de la Severn, celui de l’autre intégriste franco-écossaise qui se croyait investie de la tâche divine de restaurer la pureté du sang des rois d’Angleterre (!) et le catholicisme partout, la grande Bretagne vit à ce moment là, en une épouvantable féria, plus de la moitié de sa noblesse étripée ou raccourcie sans distinction de sexe ou d’âge…

Qu’Elizabeth ait été marquée par ce passé, certes… au point, comme moi, d’affecter de ne pas lire son courrier, ses ordres d’exécution, peut-être… et surtout désireuse de rétablir la paix à tout prix, c’est évident et fort louable. C’est ce qu’elle fit, du reste, et d’une manière inattendue, en adoptant immédiatement… le fils de cette Stuart qu’elle venait de faire décapiter… unissant enfin sans autre effusion de sang sur cette pauvre tête fêlée***, la couronne d’Ecosse et celle d’Angleterre… A condition toutefois qu’il ne fasse pas toute une histoire de la décollation de sa mère, qu’il accepta en effet de fort bon cœur. (Son fils sera lui aussi décapité, par les bons offices de Cromwell, cette fois.)

Alors ? Les drames du passé seraient-ils la cause de ce refus de voir la vie, de manger, de lire son courrier, chez Elizabeth comme chez moi ? Chez moi, c’est moins lourd, mes parents n’étant par chance pas rois d’Angleterre et les rancœurs ne s’exprimant pas de la manière tranchante qui fut la marque des Tudor (entre autres). Mais tout de même, ce n’est pas mal non plus… Qu’on regarde.


*La hache à laquelle Elizabeth répugnait, elle l’utilisa parfois avec allant, notamment contre les révoltés catho d'Ecosse, avec, variante très en vogue, découpage en "quartiers" et arrachage de foie... et envers un gigolo irritant. -Très susceptible quant à son apparence physique, elle pouvait, si on la vexait sur ce point, se montrer la digne fille d’Henry VIII. - Ainsi celui-ci, qui s’était moqué de ses vilaines dents et l'avait par ailleurs réellement trahie se vit derechef décoller, si l’on peut dire.

jeudi 13 décembre 2012

Haines paysannes

J’ai six ans. Je sais lire, hélas, et même couramment, les enfants d’instit sont toujours précoces, il n’y a pas intérêt à lambiner lorsqu'on est une vitrine pédagogique, un gladiateur lancé dans l’arène sociale contre des lions nombreux et sans pitié. Je reviens de l’école. Nous sommes à Malaigues, d’où nous déménagerons d’ici un an, comme d’habitude. Pour Besançon, cette fois… Non, d’abord pour Caluisse, je m’y perds. Ensuite Besançon, puis Berlin, Marseille, Aix en Provence et… retour au Ranquet à seize ans… Dix déménagements ou davantage en onze ans à peu près. Partis de Dijon où je fus conçue, puis, une accalmie de huit ans à Saint André, le pays minier de mes ancêtres cévenols et vogue galère… Dix établissements scolaires ou davantage en dix ans. Mon seul point d’attache: le Ranquet et Brite, ma grand-mère -Boissier- ainsi que ma grand-tante Lise, sa jeune sœur cadette de douze ans, célibataire et "folle" que j’aime infiniment. Il n’y a que moi qui parviens à la calmer, simplement en l’écoutant et en entrant dans son délire. Adorable 50 (?) jours, et le 51ième... une furie délirante incompréhensible, c'est ainsi. Sa rage atteignant surtout ceux qu'elle aimait le plus (Brite) sauf moi.
J’ai compris d’instinct qu’il n’était pas possible de lui faire admettre qu’elle se trompait et que lui soutenir que son discours n’avait aucun sens accentuait encore sa détresse donc sa fureur.

Je fais donc semblant de "comprendre" et d’adhérer et nos conversations extraordinaires l’apaisent régulièrement. Dans le cas inverse, elle casse tout… Il y a parfois de l’ambiance au Ranquet mais les voisins sont loin et du reste, habitués et tolérants. Ce sont des anciens résistants qui avaient ravitaillé les maquis lorsqu’il y avait des proscrits à nourrir. Dans une HLM, Lise, le reste du temps gentille, dévouée, presque trop, aurait fini ses jours au cabanon. Pas de pathos: cela ne m’a pas vraiment marquée de manière funeste. Au contraire, je me sentais utile et aimée et cela me posait. Et puis, ça se terminait toujours bien.

C’est même comique, une pièce de théâtre contemporaine branchée. Burlesque. Cela donne chez moi :
--  Si elle fait des choses de télévision (?) laisse là faire, ce n’est pas ton problème, l’essentiel est que tu n’en fasses pas, toi…
Si elle veut te faire épouser une porte (?) c’est à toi de refuser, elle n’insistera pas, tu sais bien que tu es plus forte qu’elle, voyons, tu es Lise Boissier, ce n’est pas rien…
Si elle/il fait des choses de commerce (?) comme à la télévision, tu t’en fous finalement, ce n’est pas ta sœur ? Brite aussi ? Bon, alors tu n’as qu’à rester en bas, tu ne la verras plus, c’est tout. Si elle est malade, eh bien elle t’appellera et tu monteras la soigner.
S’il dit que tu as planté des horloges (?) laisse le dire, on ne le croira pas et de toutes façons, tu as ta conscience pour toi, tu sais très bien que tu n’as pas planté d’horloges, ça se verrait. Il les a enlevées ? Bon, tu vois bien qu’il n’avait pas la conscience tranquille, il les a enlevées au lieu de te dénoncer, c’est le signe. S’il était sûr de lui, il les aurait laissées pour te confondre, tiens donc. S’enculer ? -Je ne savais pas ce que cela signifiait mais comme je ne savais rien de tout ce qu’elle voulait dire, cela ne changeait pas grand-chose, ensuite je regardais parfois dans le dictionnaire-. Bon, tu n’iras plus dans cet hôpital, c’est tout, puisqu’ils s’enculent là bas ou se pipent tous. Bien sûr c’est dégueulasse, tu l’as dit, je suis bien d’accord. (?)
Ma mère ? Josette ? Tu crois ? Bon, c’est leurs histoires, après tout. Josette ? Vraiment ? Bon, tu n’es pas obligée de lui parler après tout. Si elle s’enculait tout le temps (?) que veux-tu, le mieux est de l’ignorer. De ne pas la voir ni la recevoir, elle n’insistera pas. Pendant la guerre ? Ah bon. Sans doute qu’à ce moment-là ce n’était pas comme maintenant… Si ? C’était pareil ? Évidemment, mais c’est loin. Non, ce n’est pas si loin ? Sans doute, au fond, c’était juste il y a dix ans, mais je n’étais pas née, c’est pour ça. Elle n’était pas mariée avec Luc alors. Tu n’as pas oublié ? En un sens, tu as raison. Oublier, c’est trahir, d’accord.
Bon… Chante moi la fille du désert s’il te plaît, je vais essayer de le jouer au piano…
Ils ont aussi tué la mamée ? Tu crois ? D’accord, c’est moche de leur part. Je n’aurais jamais cru… Oui tu as raison, cela se voit bien dans leur regard. Mais on ne veut pas le voir. Bon, on ne leur parlera plus. Si tu veux, on les dénoncera. Non ? Tu ne veux pas pour ne pas jeter l’opprobre sur la famille ? Comme tu veux.
Je ne comprends pas ? Mais si, je comprends, même si je suis une enfant, qu’est-ce que tu crois ? Tu as toujours dit que j’étais intelligente, non ? Alors tu vois, je comprend tout, moi, et mieux que les autres…"
Au bout de quelques heures, je pouvais l’embrasser, les voix odieuses qui la harcelaient se calmaient et ça allait mieux. Parfaitement même, car après l’affreux orgasme de la crise, elle redevenait normale et se mettait invariablement à cuisiner à mon intention exclusive. Des trucs compliqués souvent. Plus c’était compliqué, plus elle aimait. Une île flottante, ça t’irait, cocotte ? Ouf. Pas de suicide en vue pour cette fois.

Le plus étonnant est que ses délires recoupaient des réalités, mais déformées comme dans un scénario de film fantastique. Je compris par la suite. Avec l'aide de Pauline, ma mère.

Brite, sur les conseils d’une voisine comme elle commerçante, une femme que ma tante haïssait, avait en effet essayé de la marier -en vain- à un certain Porte, un riche paysan veuf et moche que Lise avait rejeté avec une fureur compréhensible mais qui sans doute s’était montré insistant, peut-être même déplaisant. Elle était un bon parti, dévouée, habile, elle pourrait élever ses enfants etc... Il n’est pas exclu que la mère Bréguet qui ne détestait pas jouer les marieuses se soit montrée outrée du refus de Lise. A trente ans, cette vieille fille faisait la difficile, pour qui se prenait-elle !

L’arrière grand-mère était en effet morte à cent ans d’une injection de morphine à laquelle Lise, qui la soignait seule avec un dévouement de tous les instants, s’était opposée en vain. L’avis de l’aînée (Brite) et de ma mère avait -injustement- prévalu. Elle leur en voulait toujours pour ces quelques jours abrégés de leur mère et grand-mère "empoisonnée", de l'avoir réduite au rôle de servante que l'on ne consulte même pas..

Quant à Josette, la femme de Luc mon oncle (le frère de Pauline ma mère) avait-elle été mal accueillie dans cette famille de cévenols -du moins par Lise, qui tomba malade juste au moment de la naissance de Gérard - la droite contre la gauche en somme? Ma mère et Lise n’avaient pas apprécié mais Brite, toujours pragmatique, si. Puisque Luc était heureux avec elle, il n’y avait pas à discuter. Point. Les autres s’alignèrent. Puis on oublia. Pas Lise. Elle n'oubliait jamais. Oublier c'est trahir disait-elle.

Lorsqu’elles parlaient avec Brite de tout ce que je devais ignorer, les innocentes s’exprimaient aussitôt en patois… Ce qui me donna très vite un indice fiable de ce que je ne devais pas savoir. Cela devint même un réflexe conditionné: dès que leurs propos passaient en V.O., mes oreilles se dressaient automatiquement. Une de leurs sempiternelles discussions avait pour thème la différence que Lise ne devait pas faire entre Gérard et moi, moi qu'elles avaient élevée jusqu'à l'âge de trois ans, ma mère étant tombée gravement malade à ma naissance. Il fallait toujours agir exactement de la même manière envers nous, donner la même somme d’argent aux deux, des cadeaux exactement équivalents etc…
-- Il est ton petit neveu lui aussi, ne l’oublie pas.»
Cette commerçante avisée poussait le sens de l’équité jusqu’à compenser, au cas où un cadeau avait été plus coûteux qu’un autre, par la somme exacte qu’il manquait au défavorisé, jointe au jouet pour faire poids. Ce geste qui devait selon elle constituer la preuve absolue de l’équivalence de son amour pour ses deux petits-enfants, comme si l’arithmétique remplaçait celle des affects. Elle mesurait faute de pouvoir éprouver... exactement le même sentiment envers moi et envers Gérard.

 La famille, comme celle des Tudor -mais chez eux, c’était par défaut- fonctionne sur ce point à rebours des familles traditionnelles, valorisant davantage les filles que les garçons [jusqu'à un certain point]. Conclusion ou prémisses ? Comme chez les Tudor, la plupart du temps, elles sont en effet plus performantes et souvent dominantes, ce qui les fonde à leur tour à choisir des hommes plutôt effacés, puis à privilégier leurs filles, (qui elles mêmes vont se pourvoir de maris semblables à leurs pères etc..) Une famille d’amazones qui se reproduisent peu, où les mâles n’ont pas la part du lion, pardon, des lionnes. C'est sans doute aussi relié au hasard d'une configuration qui se répète de générations en générations: le premier enfant est une fille, souvent investie mais non maternée, hyperperformante par la force des choses, suivie d'assez loin par un garçon forcément soumis à l'aînée qui le prend en charge au mieux mais avec autorité. Les femmes travaillant dur ne sont pas les mères attentives qu'elles voudraient mais par la suite d'excellentes grand mères pour compenser... et soulager leur fille elle même bossant dur etc... Ça continue encore. [Dans mon cas, ça s'aggrave même car la configuration est la même du côté paternel.]

Conséquence, ma mère [et moindrement moi] prîmes ensuite en charge avec joie les deux vieilles femmes. Ces choses ne s’oublient pas. Jamais. Et peut-être en effet ai-je un peu été préférée, comme ma mère l'avait été à son frère, une préférence ambiguë s'accompagnant de charges plus lourdes.

Selon Josette, j’aurais eu "tout, (en fait c’est ma mère qui aurait eu "tout") Luc, rien, elle aussi commerçante et qui elle aussi compte faute d’analyser. "Tout" c'est-à-dire le Ranquet et la terre. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Ma mère a donné à son frère une somme convenue pour acheter sa part, insuffisante selon Josette pourtant généreuse d'habitude -du moins l’affirme-t-elle quarante ans après, elle qui s’est tue tout ce temps- et l’affirme-t-elle contre moi, elle qui n’a jamais osé affronter directement ma mère, pourtant seule responsable dans ses ruminations moroses de cette soi-disant injuste répartition… ma mère avec laquelle elle a eu en apparence des rapports tout à fait cordiaux. 57 ans après, Pauline morte, c’est moi qui serai vouée aux gémonies, accusée de captation: il est sans doute plus facile d’attaquer une nièce sans envergure qui s’est éloignée qu’une belle-sœur omniprésente et redoutée. Peu élégant. Mais Josette, sauf pour les fringues, n’est parfois pas très élégante.

Il faut dire: elle adorait sa belle-mère, plus que sa propre mère à qui elle reprochait de l'avoir sacrifiée à ses frères, et fit tout pour s'en faire aimer. Brite était un personnage: la chef de la famille, celle qui par son travail et sa débrouillardise l’avait tirée de sa pauvreté, une Domina romaine, en somme. Ce minuscule bout de femme à l’énergie jusqu’à la fin indomptable constituait un mélange singulier de Scarlett O’Hara et de Rosa Luxembourg. Josette était tombée sous le charme, comme tous. Elle fut une belle-fille parfaite, fêtes de mères (que ma mère oubliait toujours), la première à prendre le deuil lors de la mort du grand-père, à aller joliment fleurir la tombe des Boissier, régulièrement, petits cadeaux pour la Sainte Brigitte (dont jusqu’alors Brite ignorait jusqu’à l’existence) et pour le 19 Mai (l’anniversaire de Brite auquel ma mère elle-même ne songeait jamais), présent et gâteau… elle mettait le paquet pour que sa belle-mère l’apprécie.

Elle est certes parvenue à gagner son amour (qu’elle aurait obtenu sans cela du reste) mais bien en deçà qu’elle eût voulu. Il était clair que Brite préférait sa fille, qui, elle, ne faisait rien pour être aimée, au contraire: l’amour lui étant dû, à tout instant et par tous, Pauline ne le voyait même pas. Et ça marchait. Pour tous. Il y avait entre les deux femmes la rivalité classique de la tâcheronne qui réussit à peine à passer la barre de la moyenne envers la surdouée désinvolte qui sans coup férir obtient toujours 20. Josette n’a jamais pardonné. 50 ans après, c’est sur moi, moins dangereuse que Pauline, que cela retombe. Profit et pertes. Je suis dans les pertes. Elle se venge de ce qu’elle a dû subir tout ce temps et que personne n’a jamais mesuré, même pas elle-même. De ce qu’elle a caché soigneusement ou refusé de voir, engrangeant son ressentiment et l’enflant de un stoïque silence durant 50 ans. Cette rancoeur, elle l'a transmis à son tour à Marina, sa belle-fille, la femme de Gérard, (mon cousin) car ces meurtrissures se diffusent comme des virus informatiques. Ce qui n'arrange rien celui-ci éprouve pour moi une affection de cadet  mâtinée d'une sorte d'admiration. Moi aussi, différemment.
Dix jours après la mort de ma mère, Marina et Josette ont organisé dans leur jardin une fête joyeuse, j’entendais au loin le bruit des rires et de la ripaille. L'avis de Gérard qui n'osa même pas s'y opposer ne comptait pas. Pauline l'avait aidé et même pris avec nous pour ma plus grande joie en certaines circonstances, mais baste. J’ai eu envie d’aller m’y inviter et d’amener l’urne avec moi. Je regrette de ne pas l’avoir fait. 57 ans ou davantage de haine dont je n’avais jamais eu conscience que personne n’avait subodorée parce ce qu’elle ne s’exprimait pas. Une haine paysanne, bien marinée, comme des cornichons en bocal. Je me suis demandée alors si.. Mais non, Luc était d’une beauté virile remarquable, apprécié de tous et surtout de toutes, et doté d’un humour à froid extraordinairement efficace, un personnage entre Pagnol, Malraux et Marlon Brando. Elle était amoureuse. Elle aussi était séduisante, du reste, mais dans un genre cheap, différent.

Luc cependant vieillit mal physiquement. En raison de l’embonpoint pourtant discret qui petit à petit avait envahi son corps bien bâti de sportif, à la fin de sa vie, ce tribun populaire communiste se mit à ressembler d’une manière plutôt gênante à Le Pen (en mieux évidemment), du moins pour l’allure car ses traits demeurèrent fins et réguliers. Pour sa femme, ce fut l’inverse: veuve, elle abandonna toute coquetterie (maintenant, à quoi bon ?) renonça aux teintures flamboyantes, choucroutes et laquages parfaits de son coiffeur ainsi qu’aux tailleurs "mode de Paris" de chez Marysa et prit alors l’allure d’une jolie rombière à laquelle les beaux cheveux blancs immaculés un peu flous, tranchant sur les vêtements noirs tout simples conféraient une distinction qu’elle n'avait pas dans sa jeunesse. En somme, le "laisser aller" réussit parfaitement à cette belle femme autrefois maladroitement sophistiquée: à soixante-dix-sept ans, Josette, qui en accusait vingt de moins, avait infiniment plus de charme qu’à trente. Ce que les messieurs remarquaient. Pas elle. Luc parti, aucun ne comptait.

Que se passa-t-il pour que ce mariage -et surtout la naissance de Gérard- fut pour Lise ma grand tante un déchirement qui très probablement précipita ou révéla sa fêlure. La gauche, la droite.. Sans doute. 

Quant à l’horloge, il se trouvait que dans la maison d’un aïeul, on avait en effet découvert dans une remise à ciel ouvert, effondrée, une vieille horloge que mon père avait réparée. Que voulait dire cette horloge plantée parmi les oliviers ? Lise reprochait-elle à mon père, qu’elle adorait, d’avoir accaparé un objet qui lui appartenait à elle seule ? Ou au contraire ne se sentait-elle pas le droit de jouir (car l’horloge était restée au Ranquet) d’un meuble qui sans mon père fût tombé en poussière ? Un symbole quelconque ?

Et lorsqu’elle fut brièvement internée, il n’est pas exclu qu’elle ait été témoin ou même victime d’actes sexuels entre patients ou même avec le personnel soignant… Ou violée pendant la guerre? Et que, étant donné l'engagement des siens, elle n'eût jamais osé les dénoncer... Des soldats allemands stationnés à un jet de pierre en camp en auraient-ils profité? Elle était souvent seule au jardin, le soir, pour arroser, les rhumatismes de Brite l'empêchant de "descendre"... seule à toute heure, même la nuit. C'était elle aussi qui était chargée de la corvée d'eau lorsque l'électricité venait à manquer et c'était fréquent. A toute heure aussi. Le puits, la nuit? Un homme embusqué? Il n'est pas compréhensible autrement que cette "vieille" fille chaste et "irréprochable" dans son idéologie (qui lisait peu de romans de surcroît, et surtout pas érotiques, seulement des livres de jardinage) ait été au courant de pratiques sexuelles que même des femmes mariées "honorables" ignoraient.
Son discours était à tiroirs. Pas si fou que cela en dépit des apparences. Il manquait juste une clef pour décoder. Je ne l'ai toujours pas, pas totalement.