Un psy, entre mac et gourou.
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Résolutions
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Résolutions
Aujourd’hui
l’angoisse a diminué. On ne sait pas pourquoi. Le soleil, peut-être,
qui dehors brille doucement. Pas le soleil d’Août, ce soleil de Satan
qui tue, non, un soleil civilisé, faible mais joyeux. Tolérable. Caché.
Je
me suis levée à dix heures. J’avais travaillé toute la nuit. Je
travaille tout le temps. Pas comme ceux qui demeurent sur les bancs
toute la journée. Je suis une femme active qui mérite sa pâtée.
D’ailleurs, je ne mange presque pas. A tout hasard. Car je ne suis pas
sûre, justement, de mériter les trois carottes dans mon assiette qui me
dégoûtent rien que de les voir. J’aimerais être un lapin.
J’aimerais être n’importe qui, n’importe quoi sauf moi,
mon caniche, mes chats… celui que je croise dans la rue qui a l’air si
sûr de lui et des autres, plof plof démarche assurée, attaché case,
clefs télécommandées électroniques de voiture tendues devant lui comme
un sexe en érection, et clac ! le bel engin obéissant garé au milieu
d’autres reconnaît son maître, s’illumine, prêt à s’ouvrir comme une
fleur mûre, l’orgasme sur un simple clic, le gaillard est fier de sa
force, il sait où il va et pourquoi et ne se laisse pas dévier de sa
route… Un homme, quoi. Ou même celle du bistrot de l’horloge qui compte
ses sous à sa caisse après avoir servi des frites, et deux qui font
cinq, bonne journée, vous avez vu le meurtre à Malaigues c’est affreux, y
a plus de morale… (Et en Irak ?) Une femme, quoi. Qui sait où elle va.
Où elle est.
Je me colle à la peau, pas moyen de m’enlever de moi.
Résolution
une: faire le ménage de la galerie. Je n’ai pas encore la force. Cet
après midi sans doute, si tout va bien, après trois au quatre litres de
café.
Résolution deux: contacter l’éditeur qui me doit de l’argent.
Je ne peux pas ce matin, il ne doit pas être réveillé, toujours entre
deux trips… il faut voir ; ça dépend du trip. Il peut me dire:
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Je te poste ton fric, je suis un salaud excuse-moi» -et ne pas le
faire- ou m’envoyer à la pêche après m’avoir chaudement félicitée pour
mon talent littéraire, ma fécondité, mon punch et tout... Tu es géniale
etc… Le pire est que ça me fait plaisir. La honte.
Ma nullité m’effraie.
Résolution
trois: envoyer mes papiers de sécu. Et aller chez le dentiste. C’est le
plus difficile. J’ai tout un bridge à leur faire payer.
Est-ce que je mérite un bridge ?
C’est
à voir. Je n’enseigne plus. Je n’ai pas la moindre intention de séduire
un ou des hommes, d’ailleurs je ne l’ai jamais eue ou plutôt ce sont
eux qui n’ont jamais eu l’intention de se laisser séduire par moi -mais
je n’ai pas trop essayé- sauf deux ou trois exceptions notables -mais
alors ce fut pire-.
A
57 ans, je ne suis plus reproductible et je n’ai pas d’interview ici en
piste dans un avenir proche ni lointain… Mes dents foutent le camp.
Normal. Je ne bouffe pas.
Résolution
quatre: aller consulter Boucourt, un généraliste brillant et cultivé pour qu’il me tire de ce… Ce quoi ?
Dépression ? Folie ? Incapacité à vivre. Normalement ? Mais qu’est-ce
que vivre normalement ? Qui sait si tous, comme moi, n’ont pas les mêmes
bizarreries ? Ou d’autres ? Qu’est-ce qui se cache chez «tous» ? Même
moi, est-ce que je ne donne pas le change, souvent parfaitement? On ne
sait pas les mots. Il faudrait déjà ouvrir mon courrier. Je ne peux pas.
Lorsque je le pourrai, cela me guérira mais justement cela voudra dire
qu’alors je serais guérie.
J’ai envie d’envoyer des faire-part partout annonçant ma mort.
Qu’on
me foute la paix. Et pourtant j’ai besoin des autres. Tellement même
que je m’efforce qu’ils aient, eux, besoin de moi. Ainsi, ils ne me
quitteront jamais. Oui, mais alors ils me collent et je n’en peux plus.
Voir Erwan.
Psychothérapies
Même
mon psy autrefois, il y a bien longtemps, ne fit pas exception à la
règle. Pour lui aussi, je m’inquiétais. A juste titre d’ailleurs, comme
nous allons voir, car il allait mal, il était, entre autre cocu et en
souffrait comme n’importe qui. Je crois qu’il initia lui-même ce
renversement des rôles, mais enfin je fis immédiatement chorus avec une
servile complaisance. Au début du moins. Lui aussi, après ses vingt (?)
patients quotidiens, s’inquiétait pour lui-même -et pour sa femme- ; il
avait donc pris l’habitude de placer mes séances, ou plus exactement les siennes, le soir, en dernier, afin d’avoir plus de temps à me, ou plutôt à se,
consacrer. Les secrétaires parties, le hall demi obscur du cabinet
était d’un silence propice à la concentration: on était parfaitement
tranquilles. Parfois, il notait les références des textes philosophiques
qui me semblaient appropriés à son cas, dont je ne manquais pas de
l’entretenir. Il n’oubliait cependant jamais de se faire payer en fin de
consultation, et je n’oubliais pas davantage. Après une brève euphorie,
j’allais de plus en plus mal -et lui, de mieux en mieux-. Lorsqu’il
jugea que c’était nécessaire, il augmenta encore le rythme. Nous en
vîmes bientôt à quatre vacations hebdomadaires, parfois cinq. Ainsi ça
avancerait plus vite. J’étais certes d’accord (au début du moins) mais
mon banquier, non. C’est peut-être de là que date mon angoisse à ouvrir
mon courrier, qui commença par mes relevés bancaires.
Petit
à petit, je coulais: aux problèmes qui avaient nécessité le recours à
la psychothérapie (dont il n’avait jamais ou presque été question sauf
brièvement au tout début)… s’en étaient rajoutés d’autres que je n’avais pas auparavant,
et qui, associés aux premiers (lesquels n’avaient en rien cédé, bien au
contraire) avaient formé, en une sorte de réaction chimique
terriblement violente, une agglutination, un agglomérat visqueux qui
m’enserrait, m’étouffait et m’entraînait inexorablement vers l’abîme.
C’est également à ce moment là que j’eus ma première attaque de panique
au square Georges Brassens, devant l’immense étendue de gravier
scintillant au soleil de juin que je devais franchir: Nathan m’attendait
à l’autre bout. A sa grande perplexité, il me vit soudain faire demi
tour et courir dans l’autre sens me réfugier rue Losserand, dans notre
ILM confortable, traversant comme une flèche la rue du Bac au milieu des
crissements de freins.
Lorsque
je lui annonçai que je le «quittais», Biroud fut d’abord incrédule. Une
plaisanterie, bien sûr. C’était bien dans mon style d’anarchiste
ironique et snob cultivant sans faiblir une hors normalité de bon goût…
Non, pas du tout. Son visage changea alors. Stupéfait, lui qui
enregistrait toujours immédiatement les moindres de mes remarques (à son
sujet, il est vrai) il me fit même répéter. Je confirmai. Il se
troubla, tergiversa. C’est la première fois que vis tomber le masque, ou
du moins que je perçus ce qui se dessinait dessous. Il se justifia
presque. C’était normal que l’on aille de plus en plus mal au début
d’une cure, c’était même un excellent signe, le signe que l’on
affrontait enfin la vie etc… On en sortait toujours renforcé. (Il me
disait cela à chaque fois depuis six mois, lorsque je lui faisais, sans
insister pour ne pas le désobliger, la remarque, mais d’habitude sur un
ton agacé et condescendant, fort différent de celui qu’il adopta ce
dernier jour, affolé et agressif.) Ou mort. Non, voyons, vous exagérez.
Faites moi donc un peu confiance. Baissez donc la garde pour une fois.
Juste une fois. Mais… Jusqu’où cela irait-il ? Allons, allons… Et il enchaînait en général sur lui-même.
Mais
à présent, je ne pouvais plus me permettre de perdre ne serait-ce
qu’une once d’énergie, tant pis pour les promesses de ciel radieux qui
allait enfin s’ouvrir devant moi. Devant mon inaccoutumée résistance,
il fut sarcastique. Ah oui ? Un mauvais tiens vaut mieux que deux tu
l’auras ? Vous préférez la médiocrité de votre existence à la liberté ?
Vous me décevez infiniment. Certes, vous pouvez choisir de passer votre
vie devant la télé dans une ILM ou un pavillon de banlieue après le
boulot, mais quel dommage. Il poursuivit, impavide et paternaliste à la
fois: non, vraiment, il ne fallait surtout pas
interrompre juste au moment où enfin… Oui, il y avait des signes (que
lui seul voyait) qui prouvaient que la passe dangereuse était enfin
franchie, un peu de patience seulement. (C’était la première fois qu’il
s’intéressait aussi longuement à moi, j’en fus presque touchée.) Mais…
Niet.
Il
changea encore de ton. Je m’étais engagée, cela ne se faisait pas. Il
n’était pas un épicier qui reprend une marchandise qui ne plaît plus,
qu’on ne confonde pas. C’était contraire aux règles, au principe de la
Cure. Que tout son travail fût ainsi anéanti, il n’en était pas
question, même s’il devait dans mon intérêt
m’attacher sur ce fauteuil… Bref, il s’y opposait. Lorsque je lui
rétorquai que je me passerai de mon autorisation, il sembla saisi de
stupeur et seulement réaliser alors que je ne badinais pas. Il changea
encore. Cette fois, il fut pythonisse sévère et désespérée. Il m’annonça
sombrement toutes les horreurs qui n’allaient pas manquer de m’arriver,
livrée à moi-même, seule -c'est-à-dire sans lui- dans un monde auquel
je n’étais pas adaptée. (Il me rappela Nathan.) Et il scanda enfin
l’estocade: j’étais une névrosée grave, gravissime, il n’était même pas
sûr de pouvoir me tirer de là, oui, même lui, il n’était pas
question qu’il m’abandonne, il n’avait jamais voulu me le dire pour ne
pas me blesser, mais à présent qu’il était au pied du mur, il s’y voyait
contraint: se taire et laisser faire eût été de la non assistance à
personne en danger, il me restait une chance et une seule: lui etc…
Je
crois l’avoir vaguement traité de mac, je n’en suis plus sûre, et lui
avoir lancé en partant que finalement il venait de m’aider sans le
vouloir. Ce serait plus facile ainsi. Car je m’étais attachée, moi aussi,
fût-ce à une relation univoque et destructrice que je n’avais pas décidé
sans difficultés de rompre. Ce jour là en effet, son attitude m’a en
effet été bénéfique: elle m’a soudain éclairée sur la réalité de la
«cure» dont je voulais me libérer, d’abord
essentiellement par manque de moyens financiers. Mais l’un entraîne
l’autre, et le déni, le
désintérêt de sa part pour la situation angoissante dans laquelle il
m’avait placée et maintenue, aggravée, m’avait tout de même alertée sur
la toxicité pour moi de cette relation bizarre, vampirique. L’instinct de survie, en somme. Ma pauvreté en l’occurrence me sauva. Cela aurait pu durer des années.
Un
an après, lorsque je voulus lui envoyer «secret de famille» où sont
évoquées ces relations d’influence particulières entre psy et patient
qui rappellent parfois l’emprise des gourous de secte sur leur adeptes,
son numéro ne répondit pas. Par acquis de conscience, je cherchai sur le net. Plus de Biroud psychanalyste. Sur la région même, plus de
Biroud simple quidam. Sur la France entière, toujours pas de Biroud du
tout.
Il s’était suicidé.
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